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Le blog de Bernard Collot
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27 août 2014

Immuable rentrée, immuable école

rentrée

J’ai 74 ans. Cela va être ma soixante-huitième rentrée : et oui, j’ai commencé à six ans et les hasards de la vie font qu’ayant encore un enfant d’âge scolaire (3ème de collège) cela en fait encore une et il y en aura même quelques autres ! L’école me poursuit !

Ce qui est effrayant, ce n’est pas la fuite du temps qui me concerne, c’est son immobilité absolue en ce qui concerne l’école : rien n’a changé. A six ans autrefois ou un peu plus tôt aujourd’hui, c’est la même séparation, la même préparation de ce qui va conférer le statut qui va vous habiller en élève avec ses affutiaux obligatoires, les mêmes recommandations parentales, la même entrée dans une enceinte avec ses personnages auxquels il va falloir se soumettre (pourquoi ?), les mêmes sonneries, cloches, injonctions ou claquements des mains qui vont réguler presque jusqu’à votre respiration, les mêmes ordres qui vous assignent une place, les moments où vous pouvez la quitter, ceux où vous devez ouvrir un livre, prendre un crayon… et même ceux où vous devez aller faire pipi ! Certes, il n’y a plus l’odeur du grésil qui désinfectait les planchers, vous ne serez plus dans l’uniformité grise des blouses, vous n’aurez plus les poignées de cheveux arrachés ou les oreilles décollées, les manuels auront de la couleur et plus tard vous cliquerez même votre ordinateur… page tant ! Mais vous n’aurez même plus les odeurs du chemin de l’école, les frasques que vous pouviez y faire, les bagnoles ou des cars vous y déversent directement.

Et chacun va en prendre pour une quinzaine d’années. Une quinzaine d’années où pour la plupart l’essentiel sera résumé à « attendre ». Attendre l’ordre qui dira ce qu’il faut faire ou ne pas faire, attendre une récré (ou la craindre), attendre l’heure de la sortie, attendre… la libération de l’école pour tenter d’être et de vivre.

Ah ! Bien sûr, avant chaque rentrée il y avait toujours eu comme un bruit de fond lointain que des choses allaient changer. Enfant, ces rumeurs n’arrivaient évidemment pas à mes oreilles, elles n’arrivaient même pas aux oreilles de mes parents. Plus tard, comme mes collègues j’ai commencé à les entendre, de loin, comme si on ne parlait pas de moi et de mes élèves. J’ai même commencé à y être attentif pour les craindre ou espérer. Et puis, la rentrée arrivait… les rumeurs s’estompaient, tout le monde se mettait en rang,… prenez vos cahiers… ! Comme l’a dit un instituteur en blouse grise dans une émission de télé[1], « Les ministres passent, moi je reste et je continue ! ». Suivant l’air du temps, au lieu de mettre un « 10 » il fallait mettre un « A » (et cela suffisait à alimenter de très hautes discussions pédagogiques), l’apprentissage de la multiplication passait du CE au CM ou l’inverse (et cela alimentait de très hautes discussions pédagogiques), on travaillait (pardon, on faisait travailler les enfants) le jeudi et pas le mercredi, ou pas le samedi mais le mercredi matin, ou… (et cela alimentait de très hautes discussions pédagogiques), on changeait de manuel (et le choix alimentait de très hautes discussions pédagogiques),… Et tout recommençait, imperturbablement, tout recommence imperturbablement.

Il est effrayant et cela devrait effrayer : près de soixante-dix ans après, dans ce que me raconte mon fils au collège et ce que je peux en savoir, je peux me revoir tel je l’étais dans le cours complémentaire, tel dans ce qu’on me faisait faire ou subir, jusqu’à la place qu’on me faisait occuper ! Rien, strictement rien n’a changé y compris dans l’organisation, y compris dans les comportements des enseignants et par voie de conséquence des élèves. Les cahiers sont passés au format A4, des matières ont changé de nom (on ne fait plus de la science mais des SVT !), il faut acheter une calculette (dont il ne faut pas se servir en dehors d’exercices spécifiques), la liste des fournitures s’allonge ce d’autant qu’elles ne sont plus… fournies, il vaut mieux avoir un ordinateur à la maison,… rien d’autre.

Ce qui est effrayant, c’est que presque personne, pas plus les enseignants que les parents, ne se rend compte que rien n’a changé. Pire, certains se font même croire que cela a trop changé ! Les mêmes polémiques sur les méthodes perdurent tout en restant soigneusement des polémiques, les grands discours ministériels se reproduisent, les « experts » continuent de s’empoigner sur les médias, tout doit changer, va changer… à condition que rien ne change.

Le troupeau et ses gardiens sont prêts pour la rentrée, comme il y a un siècle. Le troupeau est simplement devenu plus difficile… à garder. « Mettez-vous en rang, assoyez-vous, prenez vos cahiers, taisez-vous… sortez ! »

PS : Pour se rassurer, on trouvera toujours des enfants contents de rentrer : les bons élèves qui vont pouvoir briller, ceux qui s'ennuient encore plus à la maison, ceux qui vont retrouver leurs copains (c'est presque la fonction la plus importante de l'école)... et alors ?

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[1] « Vive les instits », envoyé spécial, F2, 1993

Commentaires
A
Moi ça me fait penser à ce poème de gaston couté, qui raconte un enfant qui traverse la campagne pour se rendre à l'école <br /> <br /> http://parisfaubourg.org/nicnof/audio/feron_coute_l_ecole.mp3
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J
PS : J'ai beaucoup aimé vos chroniques d'une école du 3ème type, mais justement, je ne vois plus cet optimisme qu'il y avait dans ces pages, dans cet article... Optimisme et espoir..
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J
J'aime beaucoup venir lire vos articles, j'y apprends des choses, je trouve que vous réussissez à allier clarté et profondeur... Cet article me donne envie de vous demander ceci : que diriez-vous à un étudiant souhaitant devenir enseignant (prof des écoles) ? Car j'ai l'impression d'encore un peu aimer l'école, et surtout d'aimer vraiment la transmission, d'y croire encore, au "changement", mais de ne pas bien savoir où il aura lieu. Je n'ai pas envie de me dire qu'il faut arrêter d'espérer. Je serai tellement triste si l'école disparaissait. Et pour être sincère, votre article me rend triste. Alors, j'aimerai savoir, et je suis sûr que vous saurez m'éclairer. Comment rester "alerte et plein d'entrain", comme dit le poème, alors que l'on voit que les choses s'écroulent sous nos pieds ? Jordan, qui vous remercie d'avance de votre attention à des mots peut-être mal formulés.
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