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Le blog de Bernard Collot
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2 novembre 2014

L’école du 3ème type est-elle modélisable ou est-ce un terme générique ?

&modele-3emetype

Vous avez partagé sur FB la vidéo de "Kapriole" a School of Freedom avec ce commentaire : « … il y a bien des écoles du 3ème type, variant dans le modèle qu'elles se sont créées, partout dans le monde ! Et "ça marche" partout ! »

Est-ce à dire que cette école est semblable à ce qu’était la vôtre ? Si oui, alors, pourquoi ne serait-ce pas modélisable et généralisable ?

Question subsidiaire, les écoles Freinet ou Montessori sont-elles des écoles de 3ème type ? (message reçu de Jean-Christophe)

Ma réponse va être un peu longue ! le texte en .pdf ici : _modele_3_metype

La Kapriole est un bon exemple pour aborder de façon plus générale ce que peuvent être des écoles du 3ème type. Il permet aussi de comparer des conceptions qui peuvent être différentes tout en étant fondées sur les mêmes principes.

On peut appeler « école du 3ème type » toutes celles qui transportent enfants et enseignants sur une autre planète[1], celle qui serait composée… d’humains ! D’une façon générale, les écoles qui sont des espaces à la disposition des enfants et adolescents et dont celles et ceux qui ont à les piloter se conforment tout simplement aux principes de la vie, c'est-à-dire à ceux qui régissent tous les systèmes vivants.

Si vous relisez ma propre définition que j’ai donnée ici, la Kapriole allemande rentre en partie dans cette définition.

Mais chacune crée bien son propre modèle qui dépend des contextes, des cultures et des conditions dans lesquelles elles se construisent. Les différences sont dans la forme mais aussi dans le fond.

La Kapriole semble avoir été crée d’emblée à partir d’un modèle se rapprochant de Summerhill.

Dans la plupart des autres pays, la prégnance des Etats sur l’école est moins forte qu’en France et le recours à des écoles privées alternatives y est plus banal et elles y sont plus connues et reconnues. Il y a donc un choix en connaissance de cause des familles qui y inscrivent leurs enfants[2] comme des enseignants qui postulent à y travailler. Le lieu lui-même, à ce qu’il me semble, a été choisi en fonction des principes annoncés.

Si nous prenons l’exemple de Moussac, il s’agissait d’une école publique ordinaire. Ce n’est pas d’emblée qu’elle est devenue une école du 3ème type. J’ai décrit longuement et souvent comment la transformation s’était opérée, celle-ci nécessitant l’adhésion et l’implication progressive des parents qui, au départ, n’avaient pas fait ce choix (de toute façon ils ignoraient qu’il y avait d’autres possibles !). D’autre part comme les quelques classes uniques qui allaient dans ce sens, elle vivait quasiment clandestinement, sans afficher ouvertement sa différence radicale. Il a fallu le déclenchement de la lutte contre l’éradication des classes uniques pour que les loups sortent des bois et qu’à une époque les médias s’y intéressent quelque peu. Mais il n’y a jamais eu de cinéastes qui soient venus y réaliser un document complet comme pour beaucoup d’écoles alternatives[3].

Si à Moussac il y avait deux des conditions que l’on peut maintenant considérer comme indispensables, le multi-âge et l’espace (deux salles, logement de fonction, jardin), il a bien fallu partir du cadre scolaire ordinaire et de son bâtiment. D’autre part, située dans le système éducatif français, l’attente légitime des parents était que leurs enfants sortant de l’école puissent suivre au moins comme les autres au collège (si non, l’école se vidait !). On ne retrouve pas cette échéance dans le unschooling (donc encore plus libre), mais, dans un cas ou l’autre, est faite la démonstration que la liberté et l’informel des apprentissages, quand l’environnement et l’entourage social les permettent, aboutissent aux constructions cognitives et sociales permettant l’insertion dans la société existante et l’action dans et sur cette société[4]. Dans la Kapriole, l’échéance est repoussée de quelques années et c’est le taux de réussite à un brevet qui semble valider la pertinence de leur approche. Je conçois que ces critères sont assez artificiels, mais il faut replacer tout ce que j’appelle « du 3ème type » dans une société qui n’est pas du « 3ème type » bien que je pense que l’école pourrait (devrait !) y conduire. On a besoin de ces sortes de validations… pour y croire ! « Ah ! ils peuvent obtenir des diplômes, réussir des examens, suivre des cours au lycée à l’université ou ailleurs,… c’est donc qu’ils ont appris ! »

Ceci dit, il y a des différences de fond notables. La première est celle qui concerne les apprentissages formels.

Dans la Kapriole comme à Summerhill il y a une séparation assez nette entre l’informel et le formel. Une « carte d’activités » est proposée chaque jour, les unes relevant du centre aéré comme le dit la commentatrice, les autres étant des « cours » conformes à ce que demande le programme, mais devant être suffisamment attractifs. Le libre choix des enfants pouvant être de ne rien faire de tout cela et « d’aller jouer »[5] comme le dit l’un d’eux. L’interaction entre ces trois types d’activité étant reconnue comme féconde.

Dans mon école du 3ème type nous avions pu nous affranchir complètement du programme en considérant que l’essentiel n’était pas d’acquérir les connaissances que demandait un programme mais de construire/créer/faire évoluer les langages (outils neurocognitifs, pardonnez mon insistance pesante !) qui permettaient l’utilisation des langues dans lesquelles ils sont codifiés pour des « faire » (écrit, mathématique, scientifique…) et l’appropriation des savoirs et savoir faire quand ils sont désirés ou nécessaires. C’était dans tous les projets des enfants, quels qu’ils soient, que s’effectuait cette construction. Nous étions donc dans l’apprentissage informel. Mais, pour induire l’utilisation et l’évolution de tous ces langages, l’aménagement de l’espace était particulier : les différents ateliers (écrits, mathématiques, sciences, bricolage, son, vidéo, musique, peinture, marionnettes,…) ou lieux (jardin, mare, herbe de la cour, couloir-salon, bibliothèque…) n’étaient pas en eux-mêmes des activités organisées (mais ils pouvaient induire des projets de par leurs contenus et leurs outils) : c’était là que pouvaient se réaliser, se prolonger, rebondir, se partager, s’approfondir…ou naître n’importe quel projet. L’origine des projets se trouvait aussi bien dans la vie, l’affect, les besoins de chaque enfant, que dans l’environnement interne de l’école, que dans l’environnement externe, que dans les interrelations dans le collectif… Par exemple, je l’ai illustré dans ces billets : ici, .

Ma part professionnelle, en dehors de celle d’aider chaque enfant dans la réalisation de ses projets, d’éventuellement les prolonger et de lui faire franchir les obstacles qui en empêchaient la réalisation (encore les langages dont la construction du coup se poursuivait !), c’était de concevoir à l’avance ce que j’ai appelé une structure dissipative permettant tous les possibles (je l’ai sommairement abordée dans cette réponse à un semeur d’école). Les limites de l’aménagement ne tenaient qu’au bâtiment d’école traditionnelle dans lequel nous étions bien obligés d’opérer.

Il n’y avait aucune distinction pour les enfants entre jeu et activité qui aurait été considérée comme plus sérieuse. D’ailleurs, dans ce contexte, si on associe jeu avec plaisir, envie, tout est jeu. Jouer dans la cour n’était qu’une activité parmi les autres pouvant éventuellement se prolonger, rebondir  (voir par exemple « il faisait broum-broum »)

L’école devenant le lieu de tous les projets des enfants, individuels ou collectifs, ce sont les « faire » parmi les autres ou avec les autres qui induisaient l’auto-organisation, et non les activités proposées par des enseignants comme dans l’exemple de la Kapriole. De cette nécessité naissaient des règles implicites ou provisoirement explicites, à inventer, devant permettre. Pas besoin de sanctions puisque c’était alors le dysfonctionnement qui nécessitait de les revisiter, d’en instaurer d’autres. Dans les discussions collectives (la réunion), les enfants se penchaient sur les dysfonctionnements à solutionner. Il n’y avait pas à juger des comportements mais à chercher ce qui les provoquait dans l’organisation, en quoi ils gênaient l’organisation, comment celle-ci pouvait se modifier pour les éviter ou les accepter. C’est pour moi la véritable socialisation. Pouvait-on tout faire ? Non, bien sûr. Mais les impossibles posés par l’adulte (essentiellement la sécurité) étaient acceptés parce qu’il était le recours. C’est une des caractéristiques de toute école du 3ème type : l’autorité des adultes (enseignants entre autres) est reconnue et même demandée parce qu’elle est le recours. S’il y a interdiction, celle-ci a pour fonction et a contrario de permettre.

Bien sûr qu’il y avait comme dans tout groupe des conflits entre personnes, mais leur règlement n’était pas transféré à un tribunal d’enfants devant décider du bien et du mal et décréter des sanctions. Les raisons d’un conflit entre personnes sont toujours intrinsèques aux antagonistes. C’est le rôle de l’adulte, qui normalement doit avoir expérience et hauteur, de les apaiser non pas en punissant l’agresseur mais en rétablissant le lien rompu en faisant se re-connaître les deux antagonistes. Cela, seul un adulte peut le faire, il existe d’ailleurs des techniques comme par exemple celle du message clair qui peuvent même être apprise aux enfants, mais cela n’a pas à donner lieu à « des décisions de justice ». L’enfant est de même nature que nous disait Freinet ce à quoi il faut rajouter que l’adulte est de même nature que l’enfant. Mais l’adulte a des responsabilités qu’il n’a pas à faire assumer aux enfants, encore moins dans ce que lui-même a institué pour ce faire.

Sur ce point, nous divergions nettement de la Kapriole ainsi que d’autres pratiques similaires que l’on retrouve par exemple dans la pédagogie institutionnelle (création collective de lois et soumission aux lois et leurs sanctions). Mais il faut aussi les replacer dans leur contexte historique (la pédagogie institutionnelle est née dans les années 50-60 et constituait une rupture par rapport à la loi du maître) ou culturel. Il n’empêche que bon nombre d’organisations, instituées en préalable, veulent calquer dans l’école des institutions existantes (par exemple Barthélémy Profit avec la coopérative reproduisant l’institution républicaine) ou promouvoir celles auxquelles des adultes aspirent (par exemple le courant autogestionnaire de la pédagogie Freinet ou la Ruche de Sébastien Faure). Nous considérions, dans notre école du 3ème type, que c’était des besoins et des « faire » de chacun que naissait l’organisation, l’embryon de structure dissipative mise en place n’étant pas l’organisation mais ce qui permettait la mise en relation des différents éléments d’une entité (dont évidemment les enfants) pour s’auto-organiser… pour faire librement. L’organisation naît de ceux qui en ont besoin, elle n’est plus le cadre, aussi bien fait soit-il, dans lequel il faut entrer.

Un autre point de différence est l’implication des parents et de l’environnement social. Peut-être cela n’apparaît pas dans la vidéo, il semble cependant que l’école la Kapriole soit proposée clefs en mains à une clientèle. C’est aussi le cas de la plupart des écoles alternatives, quoique depuis quelques années leur création soit le fait d’un ensemble de parents et d’enseignants. L’école du 3ème type de Moussac était l’école publique d’un territoire (village). Elle était donc l’affaire de toute une communauté dont les premiers directement intéressés, les parents.

Cette dimension est importante. Notre école n’était pas une île de l’espace social, elle était en osmose avec toutes les composantes de cet espace. Ce qui peut paraître comme une difficulté puisque cela impose la réalisation de consensus, la transformation progressive des représentations, la transformation des relations, les prises de responsabilités partagées, l’implication effective de tous. Elle est rarement d’emblée du 3ème type (tout au moins dans notre société actuelle) et elle va demander à ses professionnels d’autres compétences, des connaissances même dans la socio psychologie, parce que ce sont eux qui doivent conduire et aider à ces transformations que l’on peut qualifier d’ordre démocratique, si tant est que le terme ait encore du sens. Mais il est apparu, dans l’expérience menée (le vécu) et le temps aidant, que lorsque chacun des membres d’une communauté est reconnu, il peut se remettre en question, il s’implique alors profondément dans ce qui devient une œuvre collective parce qu’elle le fait aussi exister. « Il faut un village pour élever des enfants », mais il faut des enfants pour élever un village.

Cette école du 3ème type appartenait à une communauté territoriale, était un espace particulier à disposition de ses enfants comme à la communauté elle-même. Une différence avec la Kapriole est alors sa gouvernance. Les transformations qui s’en suivaient ne concernaient pas que l’école mais aussi les interrelations sociales du village ou du quartier.

On peut dire que le point de départ commun à toutes les écoles radicalement différentes est le renversement de tout ce qu’on a pu croire à propos de la construction des apprentissages. Il n’est pas d’ordre idéologique. Dans toutes on retrouve épanouissement, curiosité, bien-être, liberté, absence de programmation des apprentissages, tâtonnement expérimental, importance des interactions avec l’environnement, importance de l’interrelation. Elles induisent toute une vraie socialisation. Elles induisent aussi toutes une autre vision sociétale. Dans ce sens elles ouvrent bien des perspectives d’ordre politique, au sens noble du terme.

Nous sommes encore dans une société de la reproduction standardisée. Elle a pu avoir des effets positifs si on pense par exemple au fordisme et à ce que disait Henri Ford (pour que les ouvriers puissent acheter la voiture qu’ils produisaient). Mais cette standardisation n’a plus comme objectif que « l’économie d’échelle » et les profits qui peuvent se tirer alors d’une consommation de masse. Tout est traité de façon industrielle même quand on en constate les effets nocifs (exemple de l’agriculture) et ce qui est considéré comme valable n’est que ce qui peut être modélisable, généralisé à condition que ce soit contrôlable. On m’a souvent dit, « mais votre école n’est pas reproductible ailleurs », comme on dit à propos de la Finlande « oui mais ce n’est pas possible en France » comme si les enfants (et les humains) n’étaient pas partout de même nature. Lorsqu’une équipe universitaire de Lille a observé pendant cinq ans l’école Freinet de Mons en Bareuil, on leur a posé la même question « Est-ce que sa modélisation peut être généralisée ? ». La réponse honnête et argumentée ayant été « Non », leur rapport est passé à la trappe alors que l’intérêt n’était pas dans le modèle mais dans la confirmation qu’apprentissages et socialisation découlent des principes de la vie.

Suivant les contextes locaux, le social-historique des sociétés dans lesquelles elles se trouvent, les moyens dont elles disposent, les réalités sociales de leur environnement, la créativité de celles et ceux qui les instiguent, les écoles de 3ème type créent toutes leur propre modèle, celui-ci ayant vocation à évoluer et à ne pas rester figé. Elles doivent s’auto-créer et ne pas s’enfermer dans leur propre modèle. Mais cette nécessité est en elle-même une aventure… humaine, éducative et enthousiasmante pour tous.

 Pour répondre à votre question subsidiaire, les références à Freinet, Montessori et d’autres sont d’abord des références à des pédagogies. J’ai expliqué dans ce billet que, nées puis poursuivies dans le cadre d’un système éducatif inchangé (programmes, découpage des âges, des matières…), leur logique, si elle était prolongée, devait nécessairement aboutir à une école du 3ème type où tous les cadres habituels disparaissent. Ces cadres ne sont pas seulement ceux plus ou moins imposés par l’institution, il y a aussi ceux sécuritaires que se posent les enseignants dans toutes leurs exigences formelles[6].

Les écoles Freinet sont rarissimes et aucune ne correspond à un modèle qui n’existe pas et n’a jamais existé (l’école Freinet de Vence qui a été plus ou moins figée dans ce qu’elle était du temps de Freinet, ne peut absolument pas représenter un modèle d’école du 3ème type, même pas un modèle Freinet). Je comprends qu’il soit fait référence à des pédagogues dans des appellations. Mais il faut aller au-delà des pédagogies, des méthodes à appliquer pour basculer dans ce qui est un autre monde : rencontres du 3ème type, Steven Spielberg !

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[1] « Rencontre du 3ème type », film de Spielberg

[2] On va retrouver la même possibilité à Gand en Belgique (une quinzaine d’écoles Freinet), mais cette fois dans des écoles communales.

[3] Marcel Trillat, journaliste d’envoyé spécial, avait bien saisi cette radicalité. Dans un reportage commandé par les producteurs de l’émission, « vive les instits », il avait détourné le sujet pour y consacrer l’essentiel du temps de l’émission. Il avait été rappelé à l’ordre par la production l’obligeant à réduire le reportage et à lui conserver un aspect scolaire, ce qui ne l’avait pas empêché de provoquer habilement un choc.

[4] A Moussac, je suivais ce qu’il advenait des enfants au collège, au lycée et dans la vie active. Les statistiques que j’effectuais sur les cursus « bac + n » étaient au-dessus de la moyenne nationale.

[5] Chez Montessori, si le jeu est ce par quoi passe l’activité, ce ne sont pas n’importe quels jeux : il s’agit de ceux conçus dans des objectifs précis d’apprentissages. En ce sens, le jeu remplace leçons et exercices.

[6] Ces cadres sécuritaires sont par exemple le maintien d’un relatif découpage du temps (temps des maths, temps de l’écrit,… temps personnel), du maintien d’un certain nombre d’obligations (faire un texte libre, une fiche par jour, un exposé par semaine…),… parce qu’il subsiste encore le doute que, sans cela, tous les apprentissages requis ne seraient pas réalisés en temps voulu.

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