L’école du 3ème type est-elle révolutionnaire ?
Plus personne ne le conteste ou n’ose le contester : tous les enfants « apprennent » beaucoup mieux dans les pédagogies ou écoles alternatives. Alors, la résistance ne viendrait-elle pas que l’accepter induirait une… révolution sociétale ?
Ce billet reprend d’une autre façon un chapitre de « école et société »
Considérons l’expression « école du 3ème type » comme générique et non pas comme un modèle. Elle peut donc englober différentes écoles alternatives.
J’ai expliqué à moult reprises sa genèse. C’est en partant de la simple problématique[1], « comment et dans quelles conditions tous les enfants peuvent-ils apprendre ? », que nous sommes arrivés quelques-uns à cette école du 3ème type.
Ce qui a d’abord été révolutionnaire, c’est admettre[2] que les enfants se construisent librement (donc apprennent) suivant les conditions et les environnements dans lesquels on les place, on leur offre et où on leur permet d’être et agir[3].
Ce n’était même pas idéologique ni préconçu. C’est dans une succession de constats que nous y sommes arrivés.
Mais, ce faisant, nous aboutissions bien à une école révolutionnaire dans la mesure où elle devient une microsociété aux antipodes de la société existante, microsociété que l’on peut qualifier de libertaire qui démontre que la société pourrait l’être… libertaire[4].
Il est terrible de le dire, mais considérer l’autre comme une personne, le respecter et le reconnaître en tant que telle, c’est devenu révolutionnaire ! Respecter et reconnaître l’enfant comme une personne c’est la base de toute pédagogie alternative parce que c’est dans cette considération que l’interrelation est possible et que s’enclenchent au mieux tous les apprentissages.
● Le premier ingrédient, c’est la liberté. Il nous a fallu un certain temps pour oser la laisser se développer pleinement pour les enfants[5]. Dans une société qui porte pourtant ce mot sur son fronton, s’il y a quelque chose qui fait bien peur c’est justement lui. Or, c’est l’usage de la liberté qui fait établir ce qui la permet : elle est la vraie source de l’utilité de l’organisation sociale et de sa création par ceux-là mêmes qui y vivent. Ce qui caractérise une école du 3ème type, c’est cette auto-organisation pour permettre la liberté, auto-organisation à laquelle les sociétés adultes peinent même à croire possible pour elles-mêmes.
● Le second c’est la taille des structures. La dimension de toute entité sociale ne peut dépasser les capacités relationnelles de ceux qui la font vivre et occupent son espace. Il faut que les éléments de cette structure puissent la percevoir, l’identifier et s’y identifier, se faire reconnaître et reconnaître les autres. Il faut que les intérêts particuliers puissent se réaliser dans l’intérêt de la communauté. Il faut que tous puissent participer à son organisation. Les abeilles l’ont bien compris depuis des millions d’années en limitant la taille de leurs colonies ! Ce qui est évident pour l’entité « école du 3ème type » l’est aussi pour toute autre entité sociale, qu’elle soit territoriale, entrepreneuriale, agricole… L’autonomie des individus (et la construction de leur autonomie) est liée à l’autonomie des espaces où ils vivent (ce qu’a développé Castoriadis). La coopération ne peut être effective quand le nombre des individus devant coopérer dans le même but dépasse des limites au-delà desquelles personne ne peut avoir prise sur l’être et le devenir commun. Mais la coopération peut exister aussi entre entités sociales. La communication entre individus non plus n’est plus possible ou insatisfaisante quand elle ne peut plus provoquer d’interactions, ne peut plus rester permanente et vivante. Dès l’instant où une communauté dépasse la dimension d’appréhension humaine de ceux qui y vivent et la font vivre, elle induit les prises de pouvoirs par quelques-uns et l’impuissance de la majorité vouée à la passivité ou la rébellion.
Finalement une société ne devrait être qu’un puzzle de microsociétés interconnectées. Dans l’histoire, la Commune de Paris, les communautés agricoles de la République espagnole, les communautés de l’Altiplano,… et même les premiers soviets avant la mainmise bolchevik…
● Le troisième c’est l’hétérogénéité. S’agissant de l’école du 3ème type, c’est le multi-âge. S’il y a des raisons purement cognitives (la construction des langages), il y a aussi la richesse de la diversité des apports, les complémentarités, la synergie des différences, l’entraide dans le vivre ensemble. C’est l’hétérogénéité qui induit a contrario la reconnaissance de chacun par le collectif, la tolérance et l’élimination de la concurrence, de la compétition et de la violence. Les témoignages historiques sont nombreux des entités territoriales où la variété des origines et des croyances permettaient le vivre ensemble et en paix. A contrario, les exemples actuels des replis communautaires dans les cités, les États, engendrent tous violence, haine et scléroses sociales.
● Le quatrième c’est l’appartenance de toute institution aux communautés territoriales qui en ont besoin. L’école du 3ème type que j’ai décrite trouvait sa force dans cette appartenance au village. Ce sont les intérêts, individuels et collectifs qui provoquent cette appropriation et l’implication. Intérêts individuels pour les parents évidemment, pour les habitants quand pour eux aussi l’école est un lieu éducatif à leur disposition où ils peuvent trouver ce qu’ils n’ont pas chez eux, se rencontrer, se cultiver, s’entraider, proposer… Intérêt collectif quand l’école est ce qui fait vivre une communauté, qu’une communauté vit avec elle. Le soulèvement de villages entiers lors de la suppression de leur école n’est pas surprenant.
Devenant un objet commun, un espace de rencontres, l’institution-école devient ce qui identifie en partie un territoire, crée et dynamise les relations sociales, influence les comportements citoyens. Il faut un village pour éduquer un enfant, mais il faut aussi des enfants pour éduquer un village.
Ceci peut s’étendre à beaucoup d’institutions et dans la plupart des domaines. La plupart des institutions, en particulier les macro-institutions, sont devenues « à subir », aucun citoyen n’a d’emprise sur elles et elles satisfont de moins en moins la variété des besoins, ne fonctionnent que par la coercition (école obligatoire sous peine de sanctions !). Elles n’autorisent que les projets conformes à ce qu’elles édictent. Il faudra bien qu’on admette que s’il y a besoin de professionnels, ceux-ci sont alors au service des projets émanant de la collectivité, dans leur élaboration et dans leur réalisation. C’est une autre notion du service public.
● Le cinquième c’est l’inclusion de toute entité sociale dans son écosystème social avec toutes les interdépendances et les synergies qui en découlent et sont nécessaires. Si chacune doit pouvoir être autonome, chacune est en interaction et en interrelation avec toutes les autres. Aucune, comme aucun individu, ne peut vivre isolément, s’enfermer, se ghettoïser.
Une école du 3ème type se conforme parfaitement à ce qui n’est que le principe qui régit tous les systèmes vivants. Elle n’est que partie d’un environnement qui est entièrement éducatif. Elle profite de cet environnement avec lequel elle est en osmose et celui-ci en bénéficie aussi, les évolutions des uns faisant évoluer les autres. Toute sa problématique est analysée dans une approche systémique, c'est-à-dire qu’elle n’est pas isolée de tout ce qui concerne la cité, son aménagement, son organisation. Or, la plupart de nos problèmes sociétaux sont rarement analysés dans une approche systémique… et ne trouvent pas de solutions et empirent.
● Le sixième découle des précédents : une autre gouvernance. Elle est naturellement effective dans le quotidien d’une école du 3ème type. Le fondement des constructions cognitives étant le libre faire des enfants, la position de l’enseignant n’est plus celle de celui qui dirige, ordonne. Son autorité n’est plus la même, elle devient celle du recours. Les décisions concernant le bon fonctionnement de la structure au bénéfice de chacun sont élaborées, avec l’aide de l’enseignant, par le collectif qui doit arriver à un consensus ne lésant aucune minorité, ne stigmatisant personne, ne désignant pas de coupables ou de boucs émissaires.
Mais c’est aussi l’indispensable participation des parents qui implique une autre gouvernance. J’ai expliqué souvent que cette présence et cette participation des parents avaient des raisons affectives et par voie de conséquences cognitives (état sécure des enfants comme des parents). Mais alors ils deviennent partie prenante de l’élaboration des stratégies et de leur suivi. La gouvernance est celle de l’obtention de consensus successifs, même si leur application dépend des professionnels devant les mettre en œuvre. La critique devient alors nécessaire, elle ne vise plus les personnes mais le fonctionnement de la structure et ses effets. Toute critique peut être entendue, discutée, objectivée, prise en compte ou reconnue comme infondée.
Dans cette gouvernance par la recherche du consensus, on change aussi la notion de responsabilité ; celle-ci devient partagée et assumée. Dans tout choix de décision, d’action, il y a un risque, ce qui explique aussi la réticence d’avoir à choisir quand des choix sont offerts et la recherche d’une fausse égalité dans l’uniformité même quand cette uniformité n’est pas satisfaisante (ce n’est pas bien, mais ce n’est pas bien pour tous !). Lorsqu’un risque est pris par un collectif, lorsque chacun du collectif sait que suivant les effets constatés les stratégies pourront être modifiées ou réorientées, pourront évoluer, alors il est réduit et peut être pris dans la sécurité.
Les écoles du 3ème type prouvent que cette autre gouvernance est possible et féconde. La plupart des gouvernances, y compris et surtout politiques, sont basées sur des pouvoirs attribués à quelques-uns ou que s’octroient quelques-uns et elles démontrent sans cesse leur impuissance à résoudre les problèmes pour lesquels on leur a donné ces pouvoirs.
● La disposition du temps. Les écoles du 3ème type ont bien démontré qu’en supprimant l’éclatement et le morcellement du temps imposé (emplois du temps, horaires), toute activité était bien plus efficiente et productrice. Or toute l’organisation sociale, et en particulier celle du travail salarié, est sous la pression du temps découpé et obligatoire. Salariés épuisés, dépressifs (donc moins efficaces !), temps de loisirs qui ne sont que des temps de récupération douteuse, déplacement massif des populations aux mêmes moments (aller au boulot, partir en vacances), inutilisation des moyens hors du temps imposé (mais on a inventé les 3x8 ce qui pressure encore davantage les travailleurs), impossibilité de s’occuper de ses enfants, de se consacrer à l’économie familiale de subsistance (jardins par exemple), etc., etc. Même une société libérale d’économie de marché va ainsi à l’encontre des propres intérêts de ceux qui en bénéficient !
● Concurrence et compétition. C’est le levier, l’injonction réitérée, la condamnation à la lutte perpétuelle contre les autres, de toute notre société, y compris à l’école. On a beau constater tous les dégâts que cela engendre, imperturbablement on ne fait qu’accentuer sans fin un processus suicidaire.
Il n’y a aucune compétition, aucune concurrence dans une école du 3ème type. L’émulation n’est pas celle de faire aussi bien que les autres, mieux que les autres pour obtenir un meilleur rang dans la hiérarchie scolaire, rang qui d’ailleurs, s’il est obtenu, crée le stress de le perdre ou la déception et l’opprobre de l’avoir perdu. Elle est celle du plaisir que les uns et les autres obtiennent dans telle ou telle activité. Au lieu de s’inscrire dans une concurrence, les capacités, les savoirs, les savoir-faire que les uns possèdent ou acquièrent peuvent être sollicités par les autres. C’est par la reconnaissance, de soi-même d’abord (je sais, je sais faire, je fais, je peux faire), par les autres ensuite (tout le monde peut apporter quelque chose aux autres, des plus petits aux plus grands) qu’un collectif devient efficient. La coopération y devient naturelle. Tous les visiteurs des écoles du 3ème type sont surpris par la tranquillité et l’absence de violences, quelles qu’elles soient (y compris donc celle de l’Institution). Alors, ne serait-ce pas simple de pacifier toute une société au bénéfice de tous ?
● L’organisation réticulaire des entités sociales.
L’autonomie ne signifie pas autarcie. Dès le début du mouvement Freinet, puis surtout avec l’utilisation de la télématique, ces écoles ont créé des réseaux entre elles (voir la fabuleuse aventure de la communication). C’est dans la communication, entre individus comme entre entités sociales, que peuvent jouer les complémentarités, les mutualisations, les synergies. Chaque communauté a besoin des apports des autres et quelque chose à apporter aux autres. En ce sens, ces réseaux constituent de nouvelles entités plus larges et plus souples qui n’ont pas été imposées ; chacune y conserve son identité, ses caractéristiques, mais l’ensemble partage ses propres richesses au bénéfice de tous. La leçon de ces enfants devrait être particulièrement retenue aujourd’hui quand tous les cadres politiques imposés se craquellent.
● Démocratie et opinions. Le problème de l’école est depuis des décennies bloqué par la confrontation de deux opinions radicalement opposées. Lorsqu’il y a confrontation d’opinions, c’est toujours celle majoritaire qui, soit fait perdurer un état de fait, soit impose un changement, toujours au détriment de la minoritaire. C’est l’opinion majoritaire (ou les croyances) qui dirige et non les faits puisque les faits risqueraient de contredire les opinions. La liberté du choix, non seulement est impossible mais en plus apparaît comme dangereuse pour la collectivité. On revient à ce problème de liberté qui semble bien le problème essentiel de nos démocraties (ou fausses démocraties). C’est bien sa non-reconnaissance qui fige et sclérose toute une société et vide la démocratie de son sens.
Or toutes les écoles alternatives (j’aime bien les appeler de 3ème type puisqu’elles constituent un autre monde, un autre paradigme) résultent d’un choix délibéré, et des familles et des enseignants (quand les familles ont les moyens). Même les quelques-unes du public, classes uniques, permettaient ce choix (ou son refus) puisque l’autorisation d’utiliser les cars de ramassage du collège permettait aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école classique du chef-lieu sans que soit brandie la carte scolaire. Ce choix n’a jamais troublé l’ordre public, toujours respecté l’opinion majoritaire et ses propres choix, jamais mis en danger les enfants pour qui l’Institution est normalement faite. Ces écoles, acceptées par l’État quand elles sont… privées, ne devraient-elles pas tout simplement faire partie, elles aussi, de l’Éducation nationale, service public au service du public ? Ceci sans la mettre en danger, au contraire en la pacifiant.
N’est-ce pas totalement anti-démocratique que l’État accorde la liberté à ses fonctionnaires dans leurs choix pédagogiques (liberté toute relative), mais la refuse à ceux directement intéressés, les familles et leurs enfants ?
● La démocratie participative. Toutes les écoles du 3ème type vivent la démocratie participative. Elles en déterminent même les conditions, les processus, les principes. Elles prouvent que la démocratie participative est nécessairement création sociale, chaque collectivité devant inventer son propre modèle. Or, s’il est un sujet sensible et difficile, c’est bien celui de l’école qui touche chacun dans son être, qui concerne le devenir de chaque enfant et par voie de conséquence le devenir de toute une société. C’est donc bien un exemple d’un possible et même d’une nécessité qu’elles offrent à toute une société malade de sa démocratie.
● L’école du 3ème type est-elle révolutionnaire ? Oui, à « l’insu de son plein gré » ! Mais ce n’est pas pour cela qu’elle est dangereuse, n’est-ce pas ?
[1] Je parle de problématique et pas de problème ! Une problématique englobe une multitude de paramètres qu’habituellement on ignore chaque fois qu’on s’interroge sur ce qu’on appelle « apprentissages ». La question change de sens lorsqu’on ne parle plus d’apprentissages mais des langages en tant qu’outils neurocognitifs qui sont aussi des outils sociaux. Autrement dit, « apprendre » n’est pas le problème.
[2] Je dis « admettre », parce que nous le savons depuis longtemps !
[4] Les pionniers des pédagogies modernes ont pour beaucoup fait la démarche inverse : c’est en voulant que l’école prépare à une autre société (plus jamais ça !) qu’ils ont constaté que tous les enfants « apprenaient » mieux.
[5] C’est l’acceptation totale de cette liberté des enfants qui fait basculer des pédagogies actives à une école du 3ème type.