Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
23 novembre 2017

L'adulte, il fait quoi dans les écoles alternatives ?

 

revolution2

 Du très terre à terre ! Les interrogations sur la position et la posture de l’adulte dans un groupe d’enfants constitué en une entité autonome me laissent souvent perplexe. Tout autant d’ailleurs que « l’apprendre à être parent », les formations à la parentalité, voire les condamnations à suivre des stages de parentalité que profèrent parfois les tribunaux. Si je pouvais raconter à ma chatte nos interrogations d’humains, ahurie elle en arrêterait de ronronner ! Mais on peut y voir le symptôme d’une société qui ne sait plus trop ce qu’elle est ni où elle doit aller. Il a été démontré, en particulier par Michel Odent (voir ce billet), que les pratiques, les comportements, les dispositifs, les habitus vis-à-vis des enfants, de la naissance à l’âge adulte, induisent et font perdurer le type de société et d’organisation sociale qu’une espèce s’est donnée pour assurer sa survie. On peut voir dans ces interrogations le côté positif d’une société humaine qui commence à prendre conscience de sa perte et qui est en recherche d’autres modus vivendi.

Dans un mouvement qui est bien la recherche d’une alternative sociétale, il est admis et démontré la nécessaire liberté de l’enfant dans les interactions et les interrelations de son environnement pour qu’il puisse se construire en adulte autonome et social. Mais, dans cette liberté, quel est le rôle de l’adulte ?

La question ne se pose pas dans l’école traditionnelle, l’enseignant y était appelé « maître ». Elle devient essentielle dans les écoles alternatives, en particulier dans celles qui placent la liberté comme leur fondement. Pour assurer la liberté du choix de l’activité par les enfants l’adulte doit-il pour cela rester inerte ? J’ai déjà longuement abordé les questions de pouvoirs, l’élaboration de la structure de départ, l’aménagement du lieu, la transition.

Le reste, c’est à dire ce que peut dire et faire l’adulte au quotidien, me paraissait naturel, aller de soi. Apparemment, ce n’est pas le cas. Avec du recul je comprends ces interrogations puisqu’on change de paradigme. Mais même dans un autre paradigme, un enfant reste un enfant, un adulte reste un adulte ayant à assumer comme dans tout le règne animal le présent et la construction de l’autonomie des futurs adultes. Paradoxalement, pour ne pas avoir à interdire il y a tout ce que les adultes s’interdisent !

Peut-être faut-il préciser ce que je pense pour ma part élémentaire dans le rôle de l’adulte lorsqu’il vit dans une entité d’enfants dont il doit aussi assurer l’état sécure. Vous n’y trouverez aucune révélation, rien qui relèverait de diplômes des sciences de l’éduc, d’années d’études de psychologie ou de longues (et coûteuses) formations ! Que du banal et de l’ordinaire. Mais ce qui me frappe dans cette période d’incertitudes c’est qu’il faut trouver pour le moindre acte de savantes raisons, si possible cautionnées par des savants. Même lorsqu’on veut revenir au « naturel », prôner l’apprentissage naturel, on n’arrive plus à être simplement… naturel.

Qu’est-ce que l’adulte ne devrait pas s’interdire ?

Il y a l’infinité de propositions que son expérience d’adulte dans de multiples domaines peut lui permettre de faire, lui permettre d’être un lanceur d’idées.

À partir de l’activité même des enfants, il y a tous les « Tu pourrais peut-être… », « Et si tu… », « Essaie plutôt… », « Je ne comprends pas… », « Penses-tu que… », etc.  Des expressions simples qui demandent simplement d’être attentif à ce qui se passe et se fait, qui n’interfèrent pas avec ce qui a engagé l’enfant dans tel ou tel projet mais ouvrent et prolongent vers d’autres perspectives. Qu’il y ait dans ces interventions des arrière-pensées pour la construction des langages n’est pas rédhibitoire puisque l’adulte intervient dans le courant de l’action décidée par l’enfant. Si vous lui dites « Si tu la dessinais, je comprendrais mieux ton expérience » bien sûr que vous voulez l’engager dans la création d’une représentation avec un autre langage, bien sûr que vous l’engagez à se confronter lui-même à ses propres hypothèses, à les réfuter ou à les affiner, mais vous n’avez pas besoin de le lui dire, il suffit que vous l'aidiez à s'emparer d’un outil qu’il ignorait (dans mon exemple la schématisation) qui ne fait que l’aider dans son projet ou de le prolonger. Bien sûr ce pouvoir d’intervention doit s’utiliser avec doigté, ne pas être pris pour un contrôle, ne pas donner l’impression d’avoir sans cesse l’adulte sur le dos… Moi-même j’ai horreur d’avoir quelqu’un derrière moi lorsque j’écris par exemple ! C’est la posture à adopter qui est délicate pour être acceptée et ne pas être contre-productive.

 Il y a aussi tous les « Avez-vous vu ce qu’a fait X ? », « Y, est-ce que cela n’intéresserait pas les autres si tu leur présentais… ? », « J’ai été surpris par la réalisation de Z… » « Qui pourrait aider V. qui n’arrive pas… », etc., prononcés dans le collectif pendant la réunion. D’une part c’est l’adulte qui peut avoir la visibilité de ce que produisent et font tous les enfants, d’autre part bien plus que valoriser tel ou tel enfant (« valoriser » est très à la mode dans les pédagogies !) c’est montré que ce qu’il fait a provoqué un intérêt (le vôtre d’abord), enfin c’est favoriser l’interaction, la dynamique dans le groupe, la synergie entre ce que font les uns et les autres, l’émergence ou le rebondissement d’idées.

Et il y a toutes les propositions au groupe que peut faire un adulte. Heureusement que son expérience lui a apporté une foule d’idées et il serait absurde qu’il n’en fasse pas profiter les autres, même si ses propositions ont des intentions cognitives que lui seul connaît. Par exemple, est-ce que l’idée de faire et publier un journal ou un blog aurait une chance de venir naturellement à des enfants ?  Il y a tous les possibles à ouvrir, ceux que les enfants ne peuvent encore imaginer. S’amuser à faire des maths sans même savoir compter ne vient pas à l’idée si l’adulte ne le fait pas voir. Beaucoup de ces possibles émergent de la vie et des échanges dans le groupe mais nécessitent l’adulte pour leur donner une dimension apparemment inaccessible. Je racontais récemment à des visiteurs l’aventure des enfants d’une classe unique des montagnes ardéchoises : c’était pendant les premiers attentats des années 1990. Les petits Ardéchois qui n’avaient jamais vu le moindre maghrébin ne comprenaient rien à cette violence. L’institutrice (Marie-Chantal D’Affroux) lance alors l’idée « Il faudrait aller les voir chez eux ! »  Enthousiasme ! Et Marie-Chantal s’est débrouillée pour obtenir les moyens d’aller avec toute sa classe passer une semaine en Tunisie, et, tant qu’à faire, dans une oasis saharienne ! Vous imaginez tout ce que la préparation, l’organisation et le voyage ont pu provoquer. Toutes les propositions n’ont pas besoin d’être aussi spectaculaires[1], toutes ne sont pas acceptées, ne sont pas suivies par tous les enfants, peu importe.

Il y a aussi ce que l’adulte s’autorise à… imposer ! Le grand mot ! J’ai souvent cité les jeux des surréalistes comme le cadavre exquis ou l’écriture automatique pour débloquer l’écrit. Je n’hésitais pas à en imposer de très courtes séances à tout le monde. Si la première était contrainte (la contrainte est d’ailleurs ce qui fait son efficacité dans ce cas), les suivantes étaient demandées. Il s’agissait évidemment d’impositions très courtes dont le rôle était surtout d’être déclencheur. Paul Le Bohec parlait du « forçage à la liberté »[2]. Pour que les enfants acceptent l’imposition d’un adulte, il faut bien sûr que celui-ci soit perçu comme le recours en qui ils ont confiance, qui n’est pas un juge, qui a donné la preuve qu’ils peuvent lui faire confiance. C’est cette autorité qu’il lui faut acquérir peu à peu par son comportement : quelles que soient les personnes et les situations, la confiance n’est pas quelque chose qui est naturellement accordé d’emblée, sinon elle aboutit à bien des désillusions.

Enfin, l’interdiction et son pendant l’obligationSous les pavés la plage et il est interdit d’interdire chantait Mai 68 ! Il coule de source qu’un collectif a besoin de se donner des règles pour vivre ensemble et assurer la liberté de chacun dans cet ensemble. Les règles sont toujours un mélange d’interdits et d’obligations qui limitent plus ou moins les possibles, tout au moins doivent permettre sous condition quelques-uns de ces possibles. Appelons-les les règles régulatrices. Il est évident que tous les possibles ne pourront être régulés sinon tous les murs des locaux ne suffiraient pas à l’affichage des règles. Il est évident que si avant d’entreprendre la moindre action il faut au préalable réciter la check-list comme un pilote de ligne avant de décoller, personne n’entreprendra rien. Ce n’est pas simple de se donner des règles de vie parce que la vie est complexe et ne se résume pas sur un papier.  Ces règles, on tâche qu’elles soient élaborées par les enfants eux-mêmes, mais il y a bien besoin de l’adulte qui, de par son expérience, peut et doit même peser pour qu’elles soient utiles. Même s’il fait le choix de laisser élaborer une règle dont il sait qu’elle posera problème (toujours son expérience), c'est-à-dire qu’il fait le choix du tâtonnement expérimental social, il sera là au moment voulu pour aider à l’analyse de ses effets et à sa remise en question. Dans l’école traditionnelle, le pouvoir absolu de l’enseignant est lié aux sanctions qu’il prononce. Dans les écoles démocratiques c’est le pouvoir absolu d’un règlement avec aussi ses sanctions que l’on fait prononcer par les enfants. Paradoxalement la démocratie alors ne fait que transférer un pouvoir coercitif à des enfants. Dans les deux cas, la sanction n’est qu’un aveu d’échec. Contrairement à Jean Oury (fondateur avec son frère Fernand de la pédagogie institutionnelle), je ne pense pas que la sanction puisse être réparatrice ou éducative. D’ailleurs, appliquer une règle pour éviter une sanction c’est en détourner le sens. Des règles peuvent très bien être établies sans sanctions lorsque, dans le collectif, l’adulte avec son expérience est celui qui aide les enfants à s’interroger sur les raisons de leur inapplication et comment éliminer ce qui provoque des dysfonctionnements ; mais il faut qu’il s’affirme ainsi et ne se retire pas derrière l’application d’un règlement et de son protocole ; c’est lui qui, en particulier au début, apporte la compréhension, l’humanité dans le règlement des dysfonctionnements[3].   

Souvent l’adulte a les moyens de faire aussi prononcer par les enfants des interdits ou des obligations qui n’émanent pas d’eux, dont ils ne voient pas a priori la nécessité qui n’en est pas forcément une pour eux. Appelons cela de la manipulation. Et c’est là où je voulais en venir :  bien sûr que l’adulte peut interdire ou obliger« JE ne peux pas vous laisser faire cela ! JE dois vous obliger à ceci » et en expliquer les raisons. Il peut s’agir de la sécurité des enfants, du risque que court le collectif, mais il peut s’agir aussi des risques que court l’adulte lui-même, par rapport à l’environnement social, à l’administration… L’emploi du "je" de l’adulte est aussi nécessaire, ne serait-ce que pour faire percevoir qu’il est bien le garant de la vie du groupe et de la vie de chacun dans le groupe. Affirmer sa présence n’est pas dominer.

Il ne viendrait l’idée à personne qu’il suffirait de laisser les enfants se débrouiller pour la première fois seuls dans la vie d’un espace collectif, il faut bien alors que l’adulte y assume et y affirme sa présence en tant que telle, qu’il y soit reconnu pour cela. Il y a bien égalité en tant que personnes et de leurs droits, il n’y a pas similarité dans les positions et les raisons qui font qu’adultes et enfants sont dans le même espace collectif.

Bien sûr que dans ce pilotage l’adulte fera souvent des erreurs. Il n’y a pas de mode d’emploi de son comportement pas plus qu’il y a de modes d’emploi de la démocratie bien qu’il en soit beaucoup élaborés aujourd’hui. Le tâtonnement expérimental n’est fait que d’une succession d’erreurs, il n’est fécond que si les effets positifs ou négatifs sont reconnus immédiatement et induisent d’autres façons d’être et de faire. C’est cette capacité que doit avoir ou acquérir l’adulte et il faut reconnaître que la vie sociale ordinaire ne la favorise pas. C’est bien dans un autre paradigme qu’il faut plonger.

Une partie de ce rôle qu’à mon sens doit assumer l’adulte n’est plus visible au bout d’un certain temps parce que c’est une nouvelle culture (de nouveaux habitus) qui s’est instaurée dans le groupe, culture qu’il faut parfois protéger de l’extérieur, ces écoles étant comme des oasis en milieu plus ou moins hostile. On ne se rend plus compte de ce qui a permis ce qui est devenu naturel et harmonieux, on ne se rend plus compte que cela ne s’est pas fait tout seul.     

alternative schools. Change the school. - escuelas alternativas. Cambiar la escuela..scuole alternative. Cambiare la scuola. - escolas alternativas. Mudar a escola.  - Alternative Schulen. Umwandlung der Schule - Scuola e democrazia – Schule und Demokratie - Escola e democracia - Escuela y democracia - School and democracy

[1] J’en ai conté quelques-unes dans « La fabuleuse aventure de la communication » ou dans « Multi-âge » (TheBookEdition.com)

[2] « L’école réparatrice de destins »  L’Harmattan

[3] J’ai souvent abordé le problème des règles (ici par xemple) .

Commentaires
B
Suite à la discussion dans les commentaires provoqués par le billet sur FB, j’insiste sur un point : il n’est pas dans mon intention de dénigrer telle ou telle forme d’organisation choisie, en particulier celle des écoles démocratiques (modèle Sudbury). <br /> <br /> <br /> <br /> C’est la place de l’adulte que j’interroge. Elle est très peu abordée dans les présentations et on pourrait penser qu’il n’y est pour rien lorsque les institutions (mises en place par l’adulte !) produisent l’harmonie sociale recherchée et l’épanouissement de chacun. Or depuis très longtemps et ce dès que dans ma propre expérience nous échangions quotidiennement sur ce qui se passait dans nos classes uniques de 3ème type, puis dans les très nombreuses rencontres et visites que j’ai pu faire, il est indéniable que ce ne sont pas les organisations seules qui produisent naturellement l’harmonie de ces microsociétés que constituent nos écoles. Cette position de l’adulte et son importance n’est pas forcément visible, surtout au bout d’un certain temps, parfois par l’adulte lui-même. Et pourtant j’affirme qu’il est bien la clef pour arriver à cette harmonie. <br /> <br /> J’ai sans arrêt insisté sur les échanges quotidiens qui ont amené à une école du 3ème type. Une bonne partie de ces échanges consistait à mettre sur la table commune nos difficultés et nos remises en question de notre rôle d’adultes. Dans la mouvance actuelle et les échanges dans les réseaux, il est très peu abordé l’adulte dans l’école, comme s’il n’existait pas ou était indifférencié des enfants. Il me semble que c’est une erreur, quelle que soit l’organisation (ou le modèle) choisi, qui conduit à des déboires que j’ai d’ailleurs pu constater.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne conteste pas les documents, les vidéos qui montrent des écoles merveilleuses, qui démontrent les capacités naturelles des enfants en qui on fait confiance. Mais ils ne disent pas comment elles en sont arrivées à cela, or c’est à mon sens le plus important si on veut que justement ce qu’elles démontrent soit reconnu et généralisé un jour. C'est-à-dire le chemin des adultes.
Répondre
B
On peut me dire que je ne fais pas suffisamment confiance aux enfants. C'est possible, mais il faut replacer ma démarche dans son contexte et replacer aussi les enfants dans leur contexte. Mon contexte c'était celui de l'école publique où personne n'envisageait que le pouvoir du "maître" ne pouvait pas être autrement qu'absolu. Le contexte des enfants c'était et c'est toujours la société dans laquelle ils vivent... et qui les éduque. Décréter un autre paradigme n'est pas le faire exister. Les adultes, au moins quelques adultes, ayant une position de pouvoir naturel ou institué, et pas seulement dans le domaine de l'éducation, doivent bien assumer le pouvoir qui permet de le transférer à chacun pour sa propre vie, au collectif qui devient lui le garant des libertés et des pouvoirs de chacun (il n'y a pas de liberté sans pouvoir !). La question des pouvoirs est rarement abordée, même par les philosophes.
Répondre
G
dois-je dire que j'ai bu du miel?
Répondre
R
Bonjour Mr Collot,<br /> <br /> <br /> <br /> J'aime votre blog car il fait intelligemment polémique ce qui me pousse à la réflexion et à une réponse de ma part. <br /> <br /> Pour répondre à votre questionnement sur le positionnement des adultes actuels, je vais vous donner mon sentiment personnel: je ne suis pas une adulte comme l'était ma mère, c'est sur. Mais je ne vois pas comment je pourrais réagir quand la génération de mes aïeux m'ont donné comme définition, adulescents ou nourrissons de 30 ans. <br /> <br /> Pour ma part, j'ai du très tôt dans ma vie avoir des responsabilités et comprendre des comportements d'adultes comme les séparations ou l'abandon. J'ai été dys à cause de la méthode globale .....Et d'autres caractères négatifs . Puis à 25 ans, ont m'a dit que je n’était qu'une adulescente qui ne pouvait faire telle ou telle chose.Et quand je suis devenue maman, on m'a encore donné des conseils ( ou injonctions) pour me dire comment je devais être. Mais je suis une adulte, alors est-ce que je peux faire des choix qui soit respectés juste parce que l'on me reconnais comme adulte alors que petite j'avais déjà des responsabilités?<br /> <br /> Alors pour ne pas faire vivre cette incohérence à mes enfants, je cherche à faire autrement car je ne leurs souhaite pas ma souffrance psychologique due à la posture des adultes quand j’étais enfant.<br /> <br /> Et pour finir, je tiens à rajouter que le mépris de certains pour notre bon sens, enfin retrouvé, nous pousse à nous justifier par la science qui, elle, est difficilement discutable.<br /> <br /> Reine
Répondre