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Le blog de Bernard Collot
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15 octobre 2021

1940-2021 (12) - À la ferme, les vendanges

1940-1960

Les vendanges

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Que ce soit à Virignin dans le Bugey ou chez mes grands-parents en Bresse, il y avait dans toutes les campagnes où cela était possible des bouts de vignes. C’était pour la consommation familiale et bien souvent c’était de la « piquette » ! En Bresse il y avait encore quelques rangs de Noah, un cépage hybride de raisins blancs qui avait été essayé après le phylloxéra mais qui par la suite a été interdit ayant la réputation de produire un vin « qui rend fou ». En fait ses grains n’étaient pas très bons à manger avec une peau très épaisse. Je préférais les chasselas de la treille du jardin de la grand-mère.

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Chaque année il y avait une journée de vendanges où toute la famille et des amis étaient conviés. Il n’y avait pas grande différence avec les vendanges d’aujourd’hui, sauf qu’il n’y avait pas de tracteurs. La vendange ne s’arrêtait pas à la vigne, nous nous retrouvions tous autour du pressoir. Le grand-père avait la veille monté les ridelles et la vis sans fin sur son plateau. Un fois les raisins entassés, les planches et les différentes pièces de bois installées par dessus, c’est en poussant la barre dans une succession d’aller et retour que l’installation s’abaissait pressant la vendange. À chaque poussée un clic indiquait qu’il fallait tirer après avoir poussé. C’était nous les enfants qui avions l’honneur de faire les premières poussées et d’entendre les premiers clics et surtout de surveiller la première coulée de jus qui allait couler dans la goulotte : le paradis ! Le plaisir de tendre un verre et de se lécher les babines. Mais gare aux coliques le soir si nous avions un peu abusé de la dégustation !

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À table le vin obtenu arrachait quelque peu la gueule, il se buvait, il ne se dégustait pas. Les femmes en buvaient rarement ou se contentaient d’en colorer leur verre d’eau. Chez moi pas question que les enfants boivent du vin mais dans des familles les garçons avaient le droit de colorer aussi leur verre d’eau à table. Les garçons mais pas les filles. Le vin était en quelque sorte une marque de la virilité comme s’il y avait besoin d’officialiser la différenciation des sexes.

Dans la pratique à la campagne la domination masculine était toute relative. Ma grand-mère régnait en maîtresse absolue sur tout ce qui concernait la vie à la maison, l'éducation des enfants. Si le grand-père ne participait jamais aux tâches ménagères ce qui aurait été déshonorant pour lui, surtout si un autre paysan l’avait su, il n’avait par contre pas un mot à dire sur l’indispensable jardin qui presque partout était le domaine des femmes ; il avait juste à obéir à la grand-mère quand celle-ci lui demandait de bêcher telle ou telle parcelle ou d’y amener des brouettes de fumier. Dans beaucoup de cultures c’étaient les femmes qui s’occupaient des potagers, on disait qu’elles avaient « la main verte », des ethnologues ont supposé que c’était lié à leur pouvoir de fertilité. Les volailles, la traite des vaches étaient aussi leur domaine, enlever quotidiennement le fumier de l’étable, nettoyer le poulailler, mettre le foin dans le râtelier le travail de l’homme. La répartition des tâches ne privilégiait pas l'un ou l'autre sexe dans l'énergie à fournir et le temps à y passer.

Mon grand-père aimait finir sa soupe en « faisant chabrot » : il ajoutait du vin dans son assiette ce qui donnait une horrible couleur vinasse à la soupe et une odeur qui me donnait envie de vomir. L’hiver, quand il faisait très froid la grand-mère préparait du « vin chaud ». Elle faisait chauffer du vin dans une casserole où elle ajoutait du sucre, un bâton de vanille et je ne sais plus quelles plantes. Nous avions le droit d’y tremper nos lèvres. Je ne sais pas si le breuvage réchauffait vraiment mais il faisait vite rougir les oreilles.

Je me demande pourquoi beaucoup plus tard je suis devenu un amateur de bon vin ; peut-être parce que comme pour fumer sa première cigarette boire du vin vous faisait croire que vous étiez devenu un homme !

L’alambic

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Et puis l’hiver il y avait le passage de l’alambic du bouilleur. Il s’installait plusieurs jours dans les villages et il devenait à la fois l’attraction pour nous les enfants et un lieu de rencontre et de discussion pour les hommes du village. Chaque paysan apportait sa charge de râpe, c’est à dire ce qui restait dans le pressoir un fois tout le jus extirpé et qui avait été conservé un ou deux mois dans une cuve dans laquelle la fermentation s’était poursuivie. Il fallait que chacun attende son tour, il y avait aussi ceux qui profitaient de l’occasion pour venir discuter avec les autres ou simplement boire un coup en « cassant une croûte » avec un morceau de saucisson et un bout de fromage apportés pour passer le temps.

Pour nous enfants il y avait un côté magique à voir enfourner à la fourche dans l’alambic une masse compacte violette d’un côté et couler de l’autre un filet limpide par la grâce du bois qui brûlait dans le foyer après un passage mystérieux dans les tuyaux et l’espèce de bonbonne en cuivre. Et puis il y avait l’odeur. Il y a plein d’odeurs qui ont marqué mon enfance. Le confort, la production industrielle de presque tout, l’aseptisation forcenée, l’utilisation de ce qui désodorise ou parfume artificiellement les lieux de vie nous ont peut-être fait perdre ce qui restait d’un des sens qui font que l’on vit.

La gnôle (l’eau de vie, le marc, la goutte...), il y en avait dans toutes les familles. Il était rare que des femmes en boivent mais il arrivait qu’on nous donne un sucre qui avait été trempé dans un verre. Elle avait de multiples usages en dehors du verre qui ponctuait de temps en temps la fin du repas des hommes ou la goutte que mon grand-père rajoutait dans sa tasse de café. Avec l’eau oxygénée c’était le principal désinfectant. En cas de bronchite avec la pose des ventouses elle était utilisée en friction sur un linge. Pour les rages de dent elle était sensée anesthésier la douleur en la gardant quelque temps dans la bouche. Elle servait à la confection de liqueurs ou d’apéritifs, certains célèbres comme le pineau des Charentes qui n’est rien d’autre que le mélange savant d’eau de vie et de jus de raisin de Cognac non fermenté. Elle servait à conserver les cerises, les prunes dans des bocaux alignés sur une étagère dans la cave à côté de ceux des conserves de haricots, de blettes...

Jusqu’en 1960 tous les producteurs de raisins, pommes, prunes… avait le droit de distiller sans payer de taxes pour leur utilisation familiale dans une limite de 20 litres. Ce privilège a été supprimé, officiellement pour lutter contre l’alcoolisme. Je crois bien qu’en réalité c’était la mainmise par l’État sur un monopole très lucratif. Même les viticulteurs doivent apporter gratuitement à la distillerie la quantité de râpe correspondant à leurs déclaration de récolte au lieu d’en faire du compost. Il devait être supposé que le monde paysan était bien plus alccolique que le reste de l'hexagone. S'il y avait bien quelques ivrognes dans les campagnes et pas spécialement paysans on ne buvait pas tellement pour la simple raison que le vin n'était pas très bon en dehors des régions réputées ; même pendant les travaux de l'été la boisson était de l'eau coupée de vin. Je n'ai jamais vu mon grand-père ivre pas plus que ses voisins fermiers. Pendant la guerre de 14-18, les poilus étaient abondamment approvisionés en "picrate" et en gnôle avant qu'on leur ordonne de sortir des tranchées pour aller se faire massacrer. Les événements actuels continue de faire un peu douter que la notion de santé publique soit uniquement utilisée… pour la santé publique. En tout cas ce n’est pas ce qui a fait disparaître l’alcoolisme, cela l’a rendu simplement plus coûteux et il a largement été remplacé par une panoplie sans cesse renouvelée dont on sait encore moins comment en faire cesser les usages.

NB : Les photos qui illustrent le pressoir ne sont pas d’époque. Je les ai prises il y a quelques années seulement lorsque des amis viticulteurs organisaient chaque année une semaine après les vendanges classiques la journée de la vendange des enfants. Leurs enfants et ceux de leurs amis étaient conviés à vendanger une parcelle tardive qui leur avait été réservée. Ils faisaient tout jusqu’au pressurage avec un petit pressoir rigoureusement semblable à ceux d’autrefois.

 

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