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Le blog de Bernard Collot
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10 octobre 2017

L'informel et l'apprentissage naturel

 

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Intervention de B.Collot au colloque européen sur
l’Education Alternative & Démocratique « Libre de s’instruire ? » organisé à Luxembourg par l’Association luxembourgoise pour la liberté de l’instruction 

La particularité de l’expérience sur laquelle je m’appuie, c’est qu’elle a eu lieu dans l’école publique française, presque clandestinement et sans avoir été préconçue, entre les années 1970 et 2 000 dans quelques classes uniques, c'est-à-dire des écoles comportant une seule classe avec tous les âges de 4 à 10 ans

Nous sommes arrivés, au cours d’un processus plus ou moins long suivant les contextes et les personnes, à une école sans horaires, sans emploi du temps, sans programme, sans leçons, sans cahiers, sans évaluation, ouverte en permanence aux parents comme aux habitants du village pendant le temps scolaire et hors du temps scolaire en ce qui concerne ma propre école.  J’ai appelé ces classes uniques des écoles du 3ème type, c'est-à-dire une autre planète en référence au film de Spielberg, « rencontre du 3ème type ».

Il y avait quelques contraintes puisque c’étaient des écoles publiques : au départ les familles n’avaient pas fait le choix d’une école différente.  Leur attente légitime était que leurs enfants suivent ensuite au moins aussi bien que les autres au collège.  Il y avait aussi l’administration c'est-à-dire les inspecteurs.  Ce qui a justifié ce que nous faisions, c’est bien que tous les enfants poursuivaient ensuite normalement leur cursus scolaire et le fait qu’elles ont duré avec l’accord et le soutien de toutes les familles, et même de leur village, pendant 35 ans pour ce qui concerne mon école… jusqu’à ce que l’Éducation nationale finisse par s’en débarrasser, en général à l’occasion du départ à la retraite de leurs enseignants.

Mais ces écoles bénéficiaient de conditions bien particulières  :

- En dehors du multi-âge, elles disposaient d’espace : en général elles étaient devenues classes uniques après la suppression d’une ou deux de leurs autres classes.  Pensez aux espèces de cabanes à lapins dans lesquelles sont entassés les enfants de 8 heures à 18 heures, de 2 ans à 18 ans, pendant tout le temps de leur construction en adultes et dans lesquelles ils ne peuvent pas faire grand-chose d’autre que de rester assis, d’écouter et d’obéir.

- Elles étaient dans la proximité des enfants, intégrées dans les villages ou les quartiers avec lesquels elles étaient en osmose.  Cette condition est importante : les enfants se construisent dans le continuum d’un tâtonnement expérimental, dans l’extension naturelle de leurs cercles de curiosité au fur et à mesure que se complexifient leurs outils neurocognitifs et relationnels que j’ai appelés les langages.  Du berceau au tapis de la chambre jusqu’aux déplacements à quatre pattes dans la cuisine, à la conquête des escaliers, à l’exploration de la maison, du jardin… de la relation duelle avec la maman aux interrelations familiales, à celles avec le voisinage… etc.  L’école n’était alors qu’un autre espace à explorer et dans lequel agir parmi et avec d’autres personnes, prolongeant la proximité.

- C’étaient aussi de petites structures à la dimension des capacités relationnelles et des besoins affectifs des enfants.  Elles permettaient la prolongation de leur construction sociale et de la conquête de leur autonomie ainsi que l’autogestion de leurs activités dans un collectif qu’ils pouvaient percevoir.  Les écoles avec des centaines d’enfants ne sont pas des espaces éducatifs mais des élevages en stabulation.

Nous mettons aujourd’hui ces quatre conditions simplement matérielles, c’est-à-dire le multi-âge, l’espace, la proximité, la taille des structures comme préalable à toute transformation réelle de l’école publique.

- Et puis, situées en début du système éducatif dont elles ne perturbaient pas la suite du cursus, c'est-à-dire le collège, elles ne gênaient pas les autres enseignants.  Les inspecteurs les ignoraient plus ou moins, de toute façon ils étaient bien en peine pour exiger des méthodes avec le multi-âge.  Par rapport à l’ensemble des établissements scolaires, nous avions une certaine autonomie.

Le cadre de départ, les pédagogies Freinet ou Montessori

Nous sommes partis des pédagogies Freinet ou Montessori, souvent simplement pour nous tirer d’affaire face au multi-âge et à l’impossibilité d’appliquer le taylorisme de l’Éducation nationale.  Souvenez-vous que nous n’avions pas pensé à l’avance ce que pourrait être une école du troisième type !

Le démarrage avec ces pédagogies qui considèrent l’enfant comme une personne, qui tiennent compte de ses intérêts, qui provoquent les apprentissages dans des activités qui ont du sens et respectent les rythmes cognitifs de chacun, avait l’avantage de nous procurer des outils, des techniques et surtout un cadre rassurant, aussi bien pour les enfants et les parents que pour les enseignantsDans la plupart des écoles alternatives dans lesquelles j’ai été invité, j’ai constaté qu’il y avait besoin d’un certain temps de transition pour que tout le monde prenne confiance.

Ces pédagogies permettaient aussi que s’établisse une nouvelle culture différente de la culture scolaire habituelle, c'est-à-dire d’autres comportements entre enseignants et enfants, entre enfants, entre école et parents ; c'est-à-dire aussi un autre rapport au savoir.  L’introduction d’un début de liberté dans le choix des activités proposées par l’enseignant, d’un début de liberté dans leur temps de réalisation, induisait une organisation de type coopérative

D’autre part, ces pédagogies permettaient de faire découvrir aux enfants des possibles qu’ils n’auraient peut-être pas découverts dans la vie courante.  Par exemple qu’ils pouvaient s’amuser à faire des créations mathématiques sans rien connaître aux mathématiques, écrire sans savoir écrire, communiquer avec d’autres par de multiples moyens, etc

Autrement dit, ces pédagogies permettaient que s’instaure un autre type de fonctionnement social, individuel et collectif.  Cependant le système était piloté par les enseignants dans des objectifs dont une partie n’appartenait pas aux enfants : la réalisation d’un programme, faire des fiches autocorrectives, ce n’est pas ce qui va susciter naturellement l’intérêt des enfants !

C’est au fur et à mesure des constats que nous faisions que, peu à peu, nous nous sommes libérés et avons libéré les enfants de toutes les contraintes qui nous étaient encore apparues comme nécessaires.  C’est ainsi que nous sommes arrivés, sans l’avoir prévu à l’avance, à la liberté totale des activités, de n’importe quelle activité.  J’insiste sur cette expression : « n’importe quelle activité », nous y reviendrons peut-être dans les discussions.  La source de l’activité appartenait totalement aux enfants

Je peux faire un rapprochement entre le processus qui nous a conduits à une école du 3ème type et le processus qui a conduit les parents débutant avec le homeschooling et arrivant au unschooling comme l’ont décrit Alan Thomas et Harriet Pattison dans leur livre.

Pourquoi les enfants apprenaient dans ces écoles où rien ne se passe comme ailleurs ?

La contrainte que tous les enfants suivent ensuite à 11 ans dans le collège a été, a contrario, riche d’enseignements puisqu’elle nous a obligés à nous pencher très attentivement sur les phénomènes et les conditions qui conduisent aux constructions cognitives et sociales.

À un moment il a fallu que je me pose la question « Pourquoi ça marche ? ». 

Je n’ai pas trouvé la réponse chez les pédagogues ! C’est dans le tout nouveau paradigme scientifique de l’approche systémique, qui s’est en partie substitué à l’approche analytique dans le XXème siècle, ainsi que dans la biologie et la neurobiologie que j’ai trouvé une réponse, ou tout au moins que je me suis fabriqué une réponse.

L’exemple de l’apprentissage de la parole, l’apprentissage le plus complexe qu’un petit humain ait à réaliser

Mais, sans aller chez les scientifiques, nous savons tous comment et pourquoi les enfants ont appris à parler.  Parce qu’ils naissent dans un environnement où on parle, où on lui parle, où il a besoin de parler pour appartenir, exister et agir dans le système vivant qui assure son état sécure  : la famille.  Ce dont on a moins conscience, c’est que l’apprentissage de la parole est l’apprentissage le plus complexe qu’un petit humain ait à réaliser

Bien au-delà de distinguer des mots, des phrases et leur sens dans ce qui n’est qu’un bruit continu qu’il entend, de les prononcer à son tour en y mettant leur sens, il faut que son cerveau crée une infinité de représentations avec ce que les sens perçoiventLorsqu’un enfant prononce « hier j’ai été sage », hier n’existe pas ! Il a fallu le créer et le faire exister avec les traces informelles qu’ont pu laisser des événements dans le cerveau, puis l’exprimer dans un symbole sonore : les mots ne sont que des bruits particuliers.  Et que dire des représentations que l’enfant doit avoir créées pour exprimer « j’ai été sage » ! Que dire aussi de la complexité de l’outil communément utilisé autour de lui pour exprimer toutes ces représentations, c'est-à-dire une langue

Toutes ces représentations et la façon de les exprimer résultent de la création continue de réseaux neuronaux.  L’apprentissage de la parole est d’une effarante complexité, nous pourrions en parler pendant des heures.  Et pourtant, à trois, quatre ou cinq ans, tous les enfants parlent couramment, sans avoir eu de professeurs de la parole !

Il n’y a aucune raison connue qui ferait que tous les apprentissages nécessaires pour être, vivre et agir dans l’environnement où se trouvent les enfants ne se construisent pas dans les mêmes conditions.  Lorsque les petits arrivaient dans ma classe unique, ils voyaient d’autres enfants, d’autres adultes, écrire, lire, mathématiser, expérimenter, pour mille raisons, dans mille occasions, dans ce qui faisait leur vie et leur plaisir.  Ils les voyaient aussi faire de la musique, peindre, bricoler, jardiner… sans qu’il y ait la moindre hiérarchie de valeur entre toutes les activités.  Exactement comme lorsque l’enfant débarque dans sa famille il y a des gens qui parlent, qui marchent verticalement sur leurs deux pattes et qui font aussi plein de choses, ils avaient naturellement envie, à un moment ou à un autre, de jouer à tout cela, de s’essayer, de participer.

Une autre notion des langages qui ne sont pas les langues

Tout s’est éclairé lorsque j’ai cessé de m’obnubiler sur les « apprentissages » et « apprendre » et que j’ai remplacé ces notions par celle des langages dont il fallait favoriser ou ne pas empêcher la complexification.  Mais j’ai mis un autre sens à ce mot que celui communément admis et qui concerne le plus souvent la langue verbale, orale ou écrite.  Pour moi les langages sont des outils neurocognitifs, pour simplifier des réseaux de neurones, qui doivent se construire pour interpréter et transformer en représentations les informations perçues par les sens, pour pouvoir être, comprendre et agir dans l’environnement où se trouve un être vivant

On le sait aujourd’hui, le cerveau se construit dans l’infinité d’interactions avec l’infinité d’informations produites par l’environnement et qu’il doit transformer pour les utiliser.  Pour les espèces sociales, je rajouterais aussi l’infinité d’interrelations.  Le cerveau crée le cerveau

Il a la capacité naturelle de créer différents mondes avec les mêmes informations perçues :

- le monde du verbal oral et du verbal écrit dans lequel le sujet existe et se projette : je vais vous raconter, j’ai vu…

- le monde mathématique dans lequel le sujet et les objets en tant que tels n’existent plus : 3 + 4 se moque qu’il s’agisse de vaches ou de bonbons. Mais après 3+4 je peux inventer 3+(2x2) = 3 + (8/2) … E=mc2 ! Ce monde échappe à tout ce que l’on peut entendre, voir, sentir, toucher ! Mais il peut produire une multitude de choses qui, elles, pourront être vues, touchées, utilisées... 

- le monde scientifique qui transforme les événements en phénomènes ayant des causes et des effets et qui imagine ce que les sens ne perçoivent pas : le soleil ne tourne pas autour de la terre

- le monde des créations qu’on appelle artistique qui dépend des informations produites par les émotions, par l’inconscient : il y a tout un monde derrière le moindre dessin d’enfant autant que derrière un tableau de Picasso

Chacun de ces mondes représentés résulte de la création et de l’utilisation de langages différents, c'est-à-dire de réseaux neuronaux différents, qui, même s’ils sont imbriqués les uns dans les autres, contribuent les uns aux autres.  On sait par exemple aujourd’hui que le langage musical contribue au langage mathématique ! L’alchimie du cerveau est extraordinaire.

Au cours du social-historique de nos sociétés, les expressions symboliques des représentations devenues communes ont été codifiées dans des langues.  

Mais les différentes langues, verbales, mathématiques, scientifiques… ne sont que des objets à utiliser par les langages, produisant eux-mêmes de nouvelles informations devenant présentes dans l’environnement sous forme symbolique ou matérielle.  Pour monter un meuble, on se sert du croquis fourni par le fabricant, identique pour tous les acheteurs.  Le croquis est un élément d’une langue, il a été produit par un langage, demande un langage pour être utilisé et il deviendra meuble !

Prenons l’exemple du langage mathématique.  Comme pour vous dans cette salle, une grande partie de l’environnement de l’enfant est une production de ce langage.  Quadrilatèreset parallélépipèdes des habitations, bandes parallèles des routes, horloges et le temps découpé, monnaie, etc., tout cela n’existe pas naturellement, ce sont des créations d’un langage.  Ce sont des informations qui laisseront sans qu’on s’en aperçoive des traces informelles dans les réseaux neuronaux des enfants et que leur cerveau traitera à notre insu, à l’insu même de la conscience de l’enfant

Nous ignorons ce qui se passe dans le cerveau, dans l’interaction avec le flot continu d’informations perçues en provenance de son environnement.  Tous les enseignants ont été par exemple un jour surpris par des enfants qui comprenaient instantanément le mécanisme plus que compliqué de la division tel qu’on voulait le leur apprendre ; qui plus est, ils situaient dans l’abstraction mathématique cette notion très complexe qui n’est pas que celle de partager un gâteau.  Ou encore les enfants arrivant à l’école sachant lire sans que personne ne leur ait jamais appris et sans que l’on sache comment ils avaient fait.  Beaucoup d’entre vous en font peut-être partie.  Mais l’environnement d’aujourd’hui est fait de plein d’écrits, de toutes sortes d’écrits, y compris sur les écrans.  C’est cela l’informel

Toujours à propos des mathématiques, les constats que j’avais pu faire moi-même ont été corroborés par l’expérience que j’ai apprise récemment et qui a eu lieu aux États-Unis en 1930 : le surintendant des écoles de Manchester avait proposé à certaines écoles de ne plus faire d’enseignement des mathématiques pendant le temps de l’école primaire.  Il avait été constaté ensuite que ces enfants rattrapaient très rapidement les autres en 6ème primaire, puis obtenaient de bien meilleurs résultats.

Un autre exemple est celui révélé à l’époque du service militaire au cours des trois jours de tests qui précédaient l’incorporation.  Il s’agissait des cas surprenants de jeunes ayant été bergers isolés pendant leur enfance et n’ayant jamais été à l’école : ils réussissaient remarquablement les tests de mathématique ! Bien sûr ils ne savaient ni lire ni écrire, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’ils avaient vécu dans un monde sans écrits.  On se débarrasse de tout ce qui surprend par la formule magique : « doués ou pas doués ! » que l’on complète d’ailleurs par « travailleur ou paresseux ».

Ne croyez pas que nous serions la seule espèce à pouvoir disposer naturellement de tous ces outils que sont les langages.  Karl Von Frisch a découvert il y a un siècle que les abeilles éclaireuses pouvaient indiquer à leurs consœurs la distance, la direction et la richesse du champ de fleurs qu’elles avaient trouvées en traçant par une danse très sophistiquée et codifiée une figure sur la planche de vol de la ruche ! À ce que je sache, personne n’a encore découvert une école chez les abeilles.

L’inhibition

Tous les langages, dans le sens que je leur donne, se construisent à notre insu ! Des circonstances font que les enfants vont développer plus un langage qu’un autre ou, au contraire, en inhiber.  C’est une propriété du cerveau d’inhiber les circuits qui le gênent ou qu’il n’utilise plus, c’est ce que nous a appris chez nous le neurobiologiste Alain Berthoz

Je pourrai vous narrer dans la discussion quelques exemples surprenants que j’ai pu constater.  Mais le plus simple est connu de tous  : les bébés nageurs qui ne se noient pas dans la piscine en utilisant le schéma corporel qui est aussi un ensemble de représentations, c'est-à-dire la création d’un langage, et qui s’est construit dans le liquide amniotique du ventre de la maman.  Plus tard ils devront réapprendre à nager parce que pour se construire le schéma corporel leur permettant de marcher verticalement sur leurs deux pattes ils auront inhibé le premier devenu gênant

Pour réapprendre à évoluer en milieu aquatique, il faudra qu’ils puissent percevoir toutes les informations perçues par leur corps quand ils sont plongés à nouveau dans cet environnement.  Je peux dire quand leur corps sera en communication avec l’eau de la piscine.  La communication, dans son sens très large qui n’est pas que celui de l’interrelation, est ce qui fait vivre, s’adapter et évoluer tous les êtres vivants.  On n’apprend pas à nager à plat ventre sur un tabouret en répétant des gestes mais dans la piscine où on n’a pas pied dans un tâtonnement expérimental propre à chacun.  Les mouvements de la brasse comme ceux du crawl ou toute autre nage ne sont que des langues, des mouvements plus ou moins standardisés pour des compétitions.  On ne peut les apprendre et s’en servir que lorsqu’on s’est construit le langage qui permet de ne pas se noyer, que lorsqu’on sait nager ! Encore faut-il qu’on soit attiré par la piscine, qu’on y voie d’autres s’y ébattre avec plaisir, qu’on y prenne du plaisir.  J’ai pu dire que tout le problème de l’éducation est dans la piscine !

S’il y a une chose à laquelle nous devons être le plus attentifs, c’est de ne pas contribuer à inhiber ! Je suis certain que vous avez des tas d’exemples ! Les méthodes sont très souvent inhibitrices quand on force le cerveau à fonctionner comme on croit qu’il fonctionne, l’empêchant d’agir à sa façon.  Parfois il faudra qu’on l’aide à se désinhiber pour qu’il trouve les solutions qui lui sont propres et qu’il trouvera toujours

On peut prendre l’exemple des dyslexiques, dyscalculies et autres.  Les orthophonistes devront les aider à ne plus opérer comme l’école et ses méthodes les ont obligés à opérer.   Pendant toute ma carrière, statistiquement il y a dû en avoir même si je ne m’en suis rarement aperçu.  Or je peux témoigner que tous se sont débrouillés sans mon aide parce qu’ils n’étaient pas contraints : Alain Berthoz explique que, face à un problème, le cerveau trouve des solutions par des chemins détournés qui lui sont propres, que l’on ignore mais si on le laisse faire et qu’il en a le besoin.  L’envie et le besoin c’était l’environnement, les autres.  L’absence de contraintes de temps, de résultats ou de méthodes et la liberté de faire suffisaient pour qu’ils trouvent leurs chemins détournésUne école du 3ème type ne guérit pas les perturbations pathologiques qui gênent, elle ne remplace pas les thérapeutes, elle permet simplement aux enfants de faire avec, différemment.

L’informel

Ce qu’on appelle l’informel, c’est tout l’environnement de l’enfant quand il peut y agir, c’est tout ce qu’il peut y faire librement, c’est tout ce qui se passe dans le cerveau, tout ce qu’il emmagasine.  Parler d’apprentissage informel est un oxymore puisqu’apprendre est justement mettre une forme à une partie de cet informel pour l’utiliser lorsqu’on en a besoin.  Bien sûr l’enfant peut vous demander de l’aider à mettre en forme  : « apprends-moi à lacer mes chaussures » ! et vous allez lui apprendre… en tâtonnant vous-mêmes.  Et vous allez alors y arriver parce que vous répondez à une demande

On ne sait jamais exactement ce qui a provoqué un apprentissage naturel ou une demande d’apprentissage, pourquoi c’est à tel ou tel moment.  C’est encore l’informel qui le provoque.  Je peux vous affirmer que tous les enfants de mon école ont appris à lire, se sont lancés dans l’écrit à un moment ou à un autre, chacun à sa façon.  Bien sûr je les ai aidés à ces moments à trouver des repères, à comprendre et à se rendre compréhensibles, mais je suis incapable de dire si c’était par les éléments que je leur apportais qu’ils apprenaient.  Je suis même certain que leurs cerveaux s’étaient servis de bien d’autres repères puisés dans l’informel de l’écrit dans lequel ils baignaient dans mon école et ailleurs.  Pas un seul n’apprenait de la même façon.  Ceux qui croient que le cerveau fonctionne comme une méthode le leur indique me font bien rire.

L’important pour moi n’était plus de faire apprendre aux enfants ce que j’étais sensé et payé pour leur faire apprendre, mais de leur donner toutes les conditions pour qu’ils développent eux-mêmes les outils qui permettent d’apprendre.

Les systèmes vivants

Je terminerai succinctement avec un autre apport théorique important.  Les biologistes Francisco Varela et Humberto Maturana ont défini la caractéristique de tout système vivant comme étant de s’auto-construire, de s’auto-créer, ils ont appelé cela l’autopoïèse.  Contrairement aux systèmes fermés qui se protègent de toute perturbation qui modifierait leur état, les systèmes vivants s’adaptent, évoluent et se complexifient par rapport à ce qu’un autre biologiste, Atlan, appelle le bruit, c’est-à-dire tout ce qu’ils perçoivent par leurs outils sensoriels.  Non seulement ils s’adaptent aux perturbations qui ne sont que les informations qu’ils perçoivent, mais ils s’en alimentent.  Ils peuvent le faire parce qu’ils sont dotés d’une structure que le physicien Ilia Prigogine a appelée structure dissipative.

L’écologie, elle, nous a appris que tous les systèmes vivants sont inclus dans d’autres systèmes vivants avec lesquels ils sont en interdépendance, certains prétendant même que la planète qu’ils appellent Gaïa est le système vivant qui les englobe tous.  Les cellules dans les organes, les organes dans le corps, les enfants dans la famille, la famille dans le village, etc.,  sont des systèmes vivants ou devraient l’être.  Ce sont les liens et la structure qui mettent tous leurs éléments en interaction qui leur confère cette caractéristique

C’est parce que la famille est un système vivant que l’enfant subsistera et évoluera, entre autres qu’il apprendra à parler, bien plus que parce qu’il aura des parents éducateurs formidables.  Et pourtant aucune famille n’est identique ni ne fonctionne de la même façon.  Chaque système vivant est unique.

À partir de cela vous comprendrez que si on veut que les enfants poursuivent leur construction dans un autre espace que l’on appelle école, il faut que celui-ci se constitue aussi en un système vivant autonome où l’environnement, les interactions et les interrelations entre les systèmes vivants qui le composent, c'est-à-dire les enfants et des adultes, provoqueront l’évolution de chacun en même temps que l’évolution du système vivant école lui-même

Un système vivant autonome mais pas coupé des autres systèmes vivants que sont la famille, le village, d’autres écoles, d’autres enfants, d’autres personnes, etc.  Autonome veut dire que la finalité du système est simplement la vie et le bien vivre des systèmes vivants qui le composent, en ce sens son auto-organisation ne dépendra que de cela.  La finalité de la vie est la vie.  C’est aussi ce qui provoque une vraie socialisation, tout au moins ce qu’elle devrait être.

L’essentiel est donc là  : qu’un rassemblement d’enfants se transforme en système vivant, ce qui relève bien plus d’une espèce d’ingénierie que d’une pédagogie.

Sur le terrain

Tout cela doit vous paraître bien théorique et bien compliqué.  Je rappelle que j’ai fait cette recherche a posteriori, non pas pour savoir ce qu’il fallait que je fasse mais pour comprendre pourquoi l’état où nous étions arrivés dans nos écoles permettait aux enfants d’apprendre tout ce qui leur était nécessaire.  Pourtant, la déclinaison pratique est très simple.  Qu’était devenue mon école à la fin d’un processus aussi bien personnel que collectif ?

- Un espace autonome avec un environnement le plus provocateur possible de toutes les curiosités et dans lequel chacun était libre d’y agir et d’être ce qu’il était

- Un aménagement incitant l’utilisation de tous les langages dans n’importe quelle activité, c’étaient les ateliers permanents qui constituaient avec la réunion quotidienne la structure dissipative permettant tous les agir, toutes les interactions et les interrelations possibles, mais aussi permettant l’auto-organisation permanente que doivent créer tous les systèmes vivants

C’était simple mais cela permettait toute la complexité qui nous échappe et que nous ne pouvons maîtriser et diriger.  C’était la simplexité du neurobiologiste Alain Berthoz.  C’était simple mais ce n’était pas innocent : imaginer qu’il suffit de lâcher les enfants dans la nature avec des adultes qui se contentent de regarder conduit à bien des déboires.  Peut-être lorsque la société sera devenue celle de Yvan Illich, une société sans école, mais il va falloir attendre longtemps !  En attendant, il y a des tâtonnements à effectuer dans les dispositifs qu’on offre aux enfants, des rôles et des responsabilités à assumer dans ces dispositifs.  L’émancipation, la conquête de l’autonomie est un processus individuel et un processus collectif.

J’ai essayé de résumer l’essentiel sur lequel me semble reposer une éducation qui n’est, dans tout le règne animal, que la période pendant laquelle un petit devient par lui-même un adulte autonome, un adulte social dans nos espèces, dans des espaces et avec des personnes qui y contribuent.  Qui simplement y contribuent !

Je sais bien que vos expériences sont toutes différentes, apportent des éclairages différents, pointent l’importance de la liberté dont j’ai peu parlé.  Les discussions de cette journée seront bien plus intéressantes que mon propos qui n’essayait que de situer le contexte de cette liberté. Paradoxalement la nécessité de cette liberté n’est même pas idéologique. Mais c’est apprendre qui est subversif pour les cadres existants et dont on n’arrive pas à sortir.

- Informal learning. Natural learning. Another notion of languages.Apprendimento informale. Apprendimento naturale. Un'altra nozione dei linguaggi - Aprendizajes naturales. Aprendizajes informales. Otra noción de los lenguajes. - Aprendizagem informal. Aprendizagem natural. Outra noção de linguagens. Natürliche Lehren. Informelle Lehren. - alternative schools. Change the school. - escuelas alternativas. Cambiar la escuela..scuole alternative. Cambiare la scuola. - escolas alternativas. Mudar a escola.  - Alternative Schulen. Umwandlung der Schule. - education - educação - educazione - educaciónBildung learn - imparare -aprender - lernen – Pädagogiepedagogiapedagogíapedagogy -

 

Commentaires
C
Bonjour,<br /> <br /> merci pour cet article passionnant.<br /> <br /> Je commence à me tourner vers cette notion d'apprentissages autonomes car elle me parait de plus en plus évidente, naturelle. Mon parcours et mon évolution me mène vers cette écologie de l'enfance (pour reprendre les mots d'André Stern).<br /> <br /> J'espère approfondir le sujet et OSER le unschooling pour mon p'ti gars. Il me reste donc un an pour me documenter, pour gonfler à bloc ma confiance en moi afin de pouvoir "affronter" les autres.<br /> <br /> Merci encore<br /> <br /> <br /> <br /> Caroline
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