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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
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12 septembre 2019

Enfants créateurs, souvenirs audio !

 

gilets-jaunes

Dans le texte, les liens pour écouter !

Dans le mouvement Freinet et surtout à partir de 1950, nous étions nombreux autrefois à utiliser le magnétophone en classe de façon courante, voire banale, presque comme on utilise un crayon ou des pinceaux ! Raymond Dufour avait même commencé en 1950 avec le premier magnétophone à fil [1]! Certains comme Christian Bertet et ses élèves de Charente ont été des fournisseurs privilégiés de la célèbre émission « chasseurs de sons » *.

Pour ma part et dès les années 60 dans l’école du Beaujolais (enfants de 7 à 14 ans) j’ai toujours eu un magnétophone à bande et un magnétophone K7 que les enfants utilisaient comme ils le voulaient. À Moussac nous avions fait un atelier son à accès libre (et avec enceintes dans une salle pour les écoutes collectives !). Chants libres, reportages, créations musicales, créations théâtrales, émissions pour le réseau, essais de toute sorte…

Les prises de son à l’intérieur étaient faites avec un très bon magnétophone à bande, le magnétophone à cassettes était utilisé pour les enquêtes et interviews à l’extérieur et surtout pour repiquer ce qui avait été fait avec le magnétophone à bande et envoyer les cassettes aux autres du réseau. Nous communiquions beaucoup par l’intermédiaire de ces cassettes qui voyageaient d’une classe à l’autre par l’intermédiaire du facteur.

Évidemment, nous n’étions pas à l’ère du numérique ni d’internet ! Les montages en découpant et recollant les bandes dans la goulotte du capot de l’engin à bandes étaient réservés aux experts et peu fiables, les coupures que l’on pouvait faire au moment du transfert du magnéto à bandes à celui à cassettes étaient sommaires et imprécises. Cela compliquait les enregistrements que l’on voulait envoyer, mais cela nous apprenait à anticiper avant d’appuyer sur « enregistrer » !

Comme pour mes collègues Freinet de l’époque, lorsque je suis parti de Lantignié d’abord (1975), puis de Moussac (1996), il y est resté un tas de bandes, de cassettes, et même de photos, de films super8… dont on ne sait plus ce qu’ils sont devenus… de toute façon on ne peut plus les ré-écouter.

L’autre jour, au cours d’une vaste opération de rangement-débarrassage, miracle : au fond d’un vieux carton poussiéreux j’ai découvert deux vieilles cassettes, l’une devant avoir une cinquantaine d’années, l’autre une trentaine !!!!!! En en dévrillant une, j’ai pu les écouter et les numériser ! J’avoue avoir été quelque peu ému en reconnaissant des voix du fond de mon âge et même en pouvant y mettre quelques prénoms !

Sur la première, une discussion sur l’amour :

Enregistrement effectué dans les années 60 dans mon école de Lantignié dans le Beaujolais

- Nous ne faisions pas de moments philo, c’était au gré de ce que provoquait la vie, les échanges avec d’autres, nous ne savions même pas que nous faisions de la philo ! Mais les enfants discutaient beaucoup de tout pendant nos réunions quotidiennes.

- Ces cassettes nous servaient pour la communication avec d’autres du réseau, certains réagissaient ou rebondissaient sur une autre cassette ou sur la même (ou par courrier) qui revenait ensuite à son point de départ. Celle-ci comme les autres a donc dû pas mal voyager. La discussion se prolongeait sur l’autre face et là il était question du baiser, des caresses et de leur sens (années 60 !!!), malheureusement elle avait été effacée puis réutilisée ensuite pour des échanges avec une autre école pour la préparation d’un voyage-échange (économies !)

- C’étaient des filles et fils de petits viticulteurs, d’ouvriers agricoles, de femmes de ménage... les plus riches, les cathos, allaient tous à l’école privée !

- Je n’intervenais pas dans les discussions, c’était le donneur ou la donneuse de parole qui relançait, mais il y avait une vieille habitude de la pratique et du micro.

- Les bruits de fond sont dus à d’autres, en particulier les petits, bricolant ailleurs je ne sais quoi.

 Sur la seconde,

- la création d’une histoire audio : Le lapin qui voulait faire un bébé  

 Classe unique de Moussac sur Vienne, 1978

Dans le réseau, à Moussac nous nous amusions à réaliser des créations audios à partir de textes trouvés dans les journaux[2] échangés et qui avaient plus à tout le monde. Elles étaient alors enregistrées dans une cassette “ici radio Moussac” et elles faisaient le tour de quelques classes du réseau.

L’enregistrement avait été fait aux alentours de 1978 à partir d’un texte d’une enfant de l’école de Parnans dans la Drôme : le lapin qui voulait faire un bébé. Le texte était court (lu par morceau par une narratrice), il avait été scénarisé (il avait fallu faire avant un synopsis permettant ensuite l’introduction des bruitages et l’improvisation en cours d’enregistrement de tout ce que les enfants ajoutaient au texte d’origine (en particulier les “parce que” et les “peut-être” qui n’étaient pas préparés à l’avance !).

Les psys vont se régaler parce qu’il n’y a jamais rien d’innocent dans ce que les enfants produisent, même s’ils ne le savent pas.  Remarquez les bruitages inventés pour symboliser la préparation des bébés, l’accouchement de la lapine (de l’eau qui coulait dans une bassine !) et celui brutal et court du lapin !!

- Une autre histoire : L’histoire du tigre qui devait s’en aller

Cette fois c’était un texte d’un enfant du journal d’une école normande dont s’étaient emparés les enfants.

Ils s’étaient particulièrement régalés dans les bruitages qu’ils prolongeaient avec délice. J’avoue les avoir réduits sur la version numérique que j’ai mise en ligne pour l’alléger et faciliter l’écoute, j’ai peut-être eu tort parce qu’on pouvait trouver du sens à ces longueurs (comme celle du bruitage du train) .

Là aussi l’histoire n’est certainement pas innocente pour l’enfant normande qui l’avait écrite pas plus pour tous ceux à qui elle avait plu. Une fable philosophique sur la différence et l’exclusion ?

- La dernière sauvée : Pollution

C’était encore une enfant de l’école de Parnans qui avait fait un texte sur la pollution. Cette fois les enfants ont voulu donner leur sentiment sans texte ! C’était osé et cela ferait rire aujourd’hui une Greta Thunberg ! Mais les enfants aimaient bien passer d’un langage à un autre pour exprimer (ils utilisaient beaucoup la musique, le chant improvisé, la danse, les marionnettes, la peinture...)

Un jour, toujours dans le journal d’une autre école, il y avait un poème magnifique : c’était un rideau qui songeait perplexe devant le monde qu’il voyait passer devant lui. L’idée saugrenue avait été de le faire… en mime, sans aucune parole. Je ne voyais vraiment pas comment ils pouvaient mimer un rideau pensant. Éberlué, j’ai assisté au mime extraordinaire d’un enfant se transformant en rideau (tout le monde voyait le rideau ondulant aux courants d’air) qui exprimait des pensées désabusées sur notre monde (tout le monde voyait ce qu’il pensait !). Dommage, nous n’avions pas encore la vidéo, j’aurais osé l’envoyer au mime Marceau !

Vous allez trouver tout cela quelque peu désuet, maladroit, mais nous découvrions un monde dans lequel vous pouvez être maintenant… avec bien d’autres moyens.


[1] Voir ce billet : http://education3.canalblog.com/archives/2014/01/29/29070608.html

 [2] Pour montrer ce qu’étaient la place des journaux hebdomadaires de quelques écoles du mouvement Freinet ou de classes uniques de 3ème type dans la communication, j’ai fait un petit ouvrage avec aussi des pages récupérées dans un vieux carton. Il est publié ici mais si le .pdf vous suffit, demandez-le moi gratos, ne le payez pas sur le site de thebookedition.

[3] Quelques autres enregistrements dans le mouvement Freinet ici
Commentaires
J
Bernard, ce n'est pas du tout désuet. Personnellement je trouve ces enregistrements exceptionnels, tant par la réalisation avec les moyens que vous aviez à l'époque, que par la maîtrise et le naturel de ces enfants, que par la force évocatrice qu'ils arrivaient à donner à leurs interprétations collectives de textes d'autres enfants.<br /> <br /> Je ne sais pas si aujourd'hui on peut retrouver ce souffle dans les classes Freinet ou autres.<br /> <br /> Et puis il y a cette conception de la communication qu'on ne retrouve plus alors que les moyens sont mille fois plus importants.<br /> <br /> Merci. Ce ne sont pas que des souvenirs, ce devrait être une source d'inspiration.
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