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Le blog de Bernard Collot
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8 octobre 2018

Hétéronomie

marelle-revolution03115

J’ai participé à « la journée des dys » organisée à Clermont-Frerrand par les PEP et diverses associations. Plus de 200 personnes toutes concernées directement ou indirectement par les enfants ou leurs enfants en difficulté, dans l’hôtel de région. Pourquoi l'impressionnant hôtel de région mis à leur disposition ? « pas étonnant me disait l’initiatrice, l’enfance en difficulté c’est 10%... des électeurs ! »

 Bien sûr où se cristallisent principalement les difficultés d'apprentissage quelles qu’elles soient ? à l’école évidemment.

Les intervenants de la matinée étaient de grande qualité. L’essentiel des questionnements tournaient autour de « comment faire ? ». J’ai été frappé par une expression qui revenait fréquemment du public : « les devoirs ». S’il est facile de comprendre pourquoi « les devoirs » revenaient souvent je n’ai entendu personne faire au moins remarquer que les devoirs à la maison étaient interdits depuis une soixantaine d’années pour tous les enfants. « Faire ses devoirs » est devenu comme « vient manger » ou « va te coucher », ce qui ne se remet pas en question.

Le thème de l’après-midi où l’on m’avait demandé d’intervenir devait tourner autour des pédagogies alternatives sensés mieux prendre en compte ses enfants dits en difficulté (mais l’étant vraiment à l’école),  la difficulté se centrant sur les apprentissages… à l’école. Il y a d’abord un détournement du qualificatif alternatif qui peut être soit deux choses qui se suivent tour à tour, soit une proposition de remplacement : les pédagogies dont on parle étaient qualifiées autrefois de nouvelles ou de modernes, plus d’un siècle après on va même dire innovantes, dans le cadre de l’école existante. L’alternatif a été accolé assez récemment à « écoles alternatives », la proposition de remplacement concerne donc l’école, pas la pédagogie dans la même école.

J’avais centré  mon intervention où bien sûr je ne fais que reprendre les mêmes thèmes depuis des années, sur « dans une école du 3ème type les enfants simplement différents ne sont pas en difficulté ou l’école ne leur pose pas de difficultés »[1]. Au fur et à mesure j’avais l’impression de parler charabia (ce qui était probablement vrai !), au moins d’être à côté de la plaque, même si on m’écoutait gentiment ou poliment.

L’impression s’est confirmée dans la table ronde qui s’en est suivie avec des co-intervenants tous de grande qualité et tous bien plus compétents que moi-même. Très curieusement il n’a pas ou très peu été évoqué ce qu’étaient ces pédagogies appelées maintenant alternatives, ce qu’elles pouvaient apporter à des enfants différents, tout au moins dont la différence apparaissait plus que celle des autres. D’ailleurs lorsque je me suis permis de rectifier une remarque venant du public en disant que dans une école du 3ème type il n’y avait pas de pédagogie, c’était carrément incompréhensible, voire iconoclaste et mes éminents camarades de la table, dont un chercheur en je ne sais plus quoi, ont immédiatement contré un tel propos, je ne leur en veux pas d’ailleurs puisque le thème, devait être les pédagogies. Mais il n’en a pas été trop question des pédagogies, tout à tourné grosso-modo autour de ce que pouvaient faire l’Education nationale et les enseignants pour ces enfants considérés comme à part, voire à mettre à part, sur la formation ou la sensibilisation des enseignants. Je suis très peu intervenu vu que j’avais eu un long temps de parole dans mon intervention, sauf une seconde fois à propos de la formation quand j’ai dit qu’il faudrait plutôt pour les enseignants des stages de « déformation » ou de « déscolarisation », des stages de permaculture ou d’apiculture ! Bernard, tu dis des conneries (on ne me l’a quand même pas dit, on ne se le permet pas avec un « conférencier »  !)

Ceci dit je comprends parfaitement que tout le monde était dans l’immédiateté, immédiateté aussi bien pour des enfants que pour leurs parents que pour des enseignants. Est-ce pour autant  que des pistes de solutions plus générales sont apparues, en dehors des moyens à augmenter et de la médicalisation des différences ? Je ne crois pas. Ce qui est bien dommage aussi, c’est que tout ce qui est évoqué à propos des dys concerne justement TOUS les enfants.

Mais ceci n’est pas propre à ce problème particulier. Dans tous les domaines qui empoisonnent la société et la conduisent à ce que certains appellent l’effondrement, il y a eu depuis des dizaines et des dizaines d’années des journées, des colloques de ceci, de cela… qui n’ont en rien  fait évoluer quoi que ce soit, bien au contraire.

Le problème de tous les problèmes, c’est que réflexions, propositions, se situent toutes dans le cadre existant qui n’apparait à personne comme pouvant ne plus être celui qui convient à la survie d’une espèce (et je ne parle même pas du bien être de chaque membre de l’espèce). Le problème est bien le cadre qui organise la vie et impose les comportements, pas de ce qu’on pourrait y faire autrement puisque cela va à l’encontre de sa logique. L’Education nationale est particulièrement emprisonnée dans ce cadre de pensée comme par exemple quand pour elle la solution à tous ses problèmes est de rendre l’école obligatoire dès 3 ans, sans que cela ne fasse pousser de hauts cris ou ne provoque de hauts le cœur à personne. Les enfants arrachés à leur mère dès la naissance pour être élevés en stabulation n’est même plus de la science fiction. Dire que école, nucléaire, multinationales… sont le même problème est complètement incompréhensible et inaudible.

Tout ceci c’est ce que Cornélius Castoriadis appelait l’hétéronomie. Il n’y a pas que nos dirigeants, toute une population, pratiquement toute une humanité est devenue hétéronome. L’hétéronomie pour Castoriadis c’est lorsqu’on est devenu incapables de penser que ce dans quoi on vit et comment on doit y vivre n’ a été que… pensé et créé par d’autres. Nous vivons dans un monde qui n’a été que créé par une pensée mais nous ne pouvons plus le penser autrement même quand il apparait manifestement de plus en plus néfaste pour une immense majorité.

Que ce soient les enfants différents (ou plutôt non conformes) ou notre pauvre climat, ou l’agriculture,  ou les affamés, ou… les uns sont de plus en plus nombreux, les autres de plus en plus détériorés. Le plus terrible c’est qu’on ne peut même pas douter de la bonne volonté de tous ceux qui voudraient améliorer les sorts et on ne peut même pas leur en vouloir.


[1] Je joins le texte de mon intervention conf_Clermont_min

Commentaires
G
J'ai cette citation dans mes pensées ces derniers temps d'Edgar Morin : "C'est la manière de penser que nous utilisons pour trouver des solutions aux problèmes les plus graves de notre monde mondialisée qui constitue elle-même un des problèmes les plus grave que nous devons affronter." Et votre article a tout de suite fait apparaître cette idée. C'est ce que je trouve finalement de plus terrible, toutes les solutions qui semblent être proposer dans tous les domaines, de l'éducation à l'écologie sont toujours des solutions pensées dans un cadre alors que c'est justement ce cadre qui est limitant ! Devant des individus différents, plus jeunes, trop vieux, trop fragiles, hors normes... Se posent dès le départ un rapport de force, un qui sait ou un qui aurait ses pleines capacités donc sous-entendu au sommet de quelque chose qui serait abouti et qui n'aurait plus rien à apprendre... Et surtout pas d'individus différents ! Leurs différences, parfois leurs fragilités semble être perçus comme d'effrayantes. <br /> <br /> Alors que leurs différences sont une puissante source d'inspirations et une invitation à sortir du cadre pour ré-enchanter notre monde pour laisser émerger les solutions peut-être les plus farfelues et peut-être aussi les plus ajustés pour répondre aux enjeux futurs écologiques. <br /> <br /> Il y a encore tellement de belles choses à apprendre si on ose se laisser surprendre :-)
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A
J'ai lu votre blog pratiquement dès le début. Vous vous inscrivez bien dans ce qu'Edgar Morin appelle la pensée complexe. Vous avez dit dans un ouvrage non édité (sur le site de thebookedition.com) que ce que vous disiez n'était que les pièces d'un puzzle que chacun devait reconstituer à sa manière et par rapport à son propre vécu. C'est bien la difficulté de tout ce que vous nous proposé : rien n'est prédigéré à ingurgiter comme tel. Je comprends donc bien l'embarras de ceux qui vous demandent de vous exprimer. Ils ont une attente.de consommateurs et vous leur demandé de construire eux-même leur pensée et par voie de conséquence d'en tirer les actions à mettre en oeuvre. Ce n'est pas lav oie de la facilité !!
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L
Ce que vous dites est très juste et peut effectivement se rapporter à tous les domaines. Lors de la discussion sur l'interdiction du glyphosate tous les politiques et la fnsea ont dit qu'il fallait attendre qu'on ait trouvé un produit de remplacement ! Ce qui évite bien sûr de toucher à l'ensemble du système agricole et autres grandes surfaces !
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C
Il y a dès le départ un malentendu. Lorsqu'on parle de pédagogie; en fait, c'est de didactique dont il est fait allusion. La pédagogie a disparu parce qu'elle s'est fondue dans façon de faire alors qu'elle doit être une réflexion à partir des pratiques des acteurs. "Pédagogie alternative" équivaut dans l'esprit de beaucoup "didactique différente": Montessori, Freinet ou autres. La pédagogie est à reconstruire et il ne faut pas attendre qu'elle le soit par les penseurs dans ce domaine;elle le sera par les acteurs: élèves, parents, enseignants, etc. et non par des théoriciens qui pensent qu'ils doivent "sauver" la pratique en injectant des nouveautés à partir des résultats de leurs recherches et de leurs réflexions. Ce qui est nouveauté, doit partir des dynamiques et d'une volonté d'être à disposition des élèves dans un accompagnement de leur acquisition. C'est difficile à admettre par des tenants d'une vérité théorique. Pour ma part, j'ai depuis longtemps renoncé à me rendre à ces "messes pédagogiques" où il y a peu de réels débats.
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P
Je pense que d'est bien vu cette hétéronomie à partir d'un cas particulier.. Je suis d'accord avec Bernard Collot sur l'extension de son analyse avec tous les domaines de la vie sociale et sociétale. Mais il y a aussi l'ampleur de toutes les macromachines dont l'école qui régissent tout. Il faut donc détruire ces macromachines, mais les anarchistes eux-mêmes n'y sont pas arrivés tellement elles sont puissantes. Attendre qui'elles s'auto-détruisent elles-mêmes s'est aussi se condamner (et condamner nos enfants.<br /> <br /> BC a bien fait de mettre le doigt sur l'utilisation abusive d'alternative. Alors il faut sortir, s'extraire des institutions . Or ce n'est pas facile et les institutions ne le laissent pas faire. Alors, il est bien difficile de ne pas être pessimiste.<br /> <br /> .
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