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Le blog de Bernard Collot
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28 février 2022

1940-2021 (60) - 1969... Le tiers-temps pédagogique

Les petites révolutions de l’Éducation nationale… qui n’ont pas duré.

À l’Éducation nationale le ministre Edgar Faure surprit tout le monde par la prise en compte des revendications soixante-huitardes dans sa loi d’orientation que ne votaient pas les communistes à notre grande déception. Cette loi affectait surtout le secondaire et l’université en permettant une certaine participation des parents et des élèves délégués dans les établissements secondaires, et facilitait l’interdisciplinarité. Il fallait calmer les troupes, mais en même temps cela provoquait les clivages du monde enseignant et syndical et les levées de boucliers.

Dans les années qui ont suivi, il y eut le collège unique avec la fin du certificat d’études primaires donc l’école primaire qui s’arrêtaient au CM2, la suppression du samedi après-midi comme jour de classe, le passage du jeudi au mercredi, l’obligation scolaire reportée à 16 ans... D’autres plus anodines comme la reconnaissance de l’utilisation du stylo Bic ! Mais pour nous les instituteurs du primaire c’est au niveau pédagogique que mai 68 a eu une influence, elle aussi effacée au fil des années, des réformes contestées et avortées. Dans un premier temps les pratiquants des pédagogies actives et Freinet nous fûmes un peu moins tracassés par l’administration. L’arrivée d’inspecteurs et d’inspectrices un peu plus jeunes n’ayant jamais été instituteurs ou institutrices rendaient les inspections plus cools, moins tatillonnes. Mes notes administratives se rapprochaient un peu d’un niveau normal !

De 1968 à 1978 il y a eu pas mal d'expériences qui ont pu avoir lieu au sein de l'Education nationale où pendant cette décennie un certain nombre d'enseignants et de parents prenaient conscience que l'école était d'abord faite pour les enfants dans d'autres rapports avec les adultes, expériences que vous pourriez voir dans le travail beaucoup plus exhaustif que mon témoignage réalisé par Marie-Laure Viaud ici.

Mais il y a eu surtout deux réformes qui auraient pu changer l’école.

Le tiers-temps pédagogique

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Il aura été une révolution vite avortée elle aussi. Par un arrêté de 1969, le traditionnel temps scolaire avec les horaires et programmes officiels fixés rigoureusement par matières, était remplacé par trois temps :

- Un temps pour les disciplines dites fondamentales, français et maths, un peu plus important que le tiers. Il était juste conseillé que ce soit le temps du matin mais il pouvait déborder sur les autres temps puisqu’on peut faire aussi du français et des maths avec le temps suivant.

- Un temps pour ce qui devenait des « disciplines d’éveil » qui comprenait l’histoire, la géographie, la science, le dessin, la musique, le chant.

- Un temps de l’éducation physique et sportive et, qui plus est, ce temps n’était plus supervisé par les inspecteurs de l’EN mais par les conseiller d’éducation physique… du ministère de la Jeunesse et des Sports ! La danse, l’expression corporelle en faisaient partie.

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Prudemment le ministère en demandait une application progressive et un peu modérée, demandait de surveiller « les dérives ». Pour tous les instits des pédagogies modernes c’était la libération totale, mais pour tous les autres la déstabilisation absolue ! Pensez donc, s’ils pouvaient continuer l’enseignement du français et du calcul à peu près comme avant, pour le reste c’était la catastrophe : comment faire quand les programmes devenaient flous, peu impératifs, qu’on leur demandait « d’éveiller » par l’histoire, la géo, la science, le dessin, la musique sans trop de précision sur leurs horaires et de ce qu’il fallait « savoir » et qu’en plus ce temps allait être mangé par l’éducation physique, le sport, la danse. Quoi contrôler, évaluer dans tout ce fatras ? Comment faire un emploi du temps ? Les inspecteurs ne mettaient pas beaucoup d’ardeur à expliquer et faire appliquer cet arrêté si bien que beaucoup continuaient carrément comme avant. Quant aux éditeurs, ils s’arrachaient les cheveux pour concevoir de nouveaux manuels. Je ne parle pas des hauts cris des partis politiques et des élus criant à la destruction du savoir.

Les conférences pédagogiques étaient folkloriques. La plupart des inspecteurs étaient bien embarrassés pour diffuser les instructions et relayer comme c’était leur fonction l’arrêté ministériel, ce d’autant que nous étions quelques-uns à en profiter pour les mettre encore plus dans l’embarras ce qui n’avait jamais lieu avant. Certains tentaient bien pour ce foutu temps des disciplines d’éveil d’organiser des présentations de réalisations d’exposés faits collectivement par des classes sur des sujets d’histoire ou de géographie. Il faut dire que les exposés affichés, soigneusement choisis, des étudiants eux-mêmes n’auraient pas pu les réaliser aussi bien. Manifestement, ils étaient l’œuvre de deux ou trois très bons élèves et de l’instit, les autres ayant surtout tenu les ciseaux et la colle.

Comme tous mes collègues de la pédagogie Freinet je me suis évidemment régalé pendant cette période, les enfants aussi.

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Cela avait même été l’occasion de faire rentrer les rencontres sportives USEP dans le temps scolaire. Le conseiller pédagogique de circonscription d’éducation physique de la Jeunesse et des Sports, un ami, était venu me voir parce que justement les rencontres USEP organisées le jeudi périclitaient. L’USEP relevait encore du bénévolat et du militantisme.

- Bernard, ta classe n’y participe pas, il faut absolument que tu l’inscrives.

Le jeudi, entre les courses à faire pour le restaurant d’enfants, celles pour l’école, les miennes, les réunions avec le groupe départemental de l’école moderne, les entraînements des équipes de basket, je n’en avais pas le temps. Tous les collègues de notre monde rural étaient plus ou moins logés à la même enseigne.

- Impossible le jeudi. Je te propose de les faire le samedi, pendant le temps scolaire.

- C’est tout aussi impossible, cela ne s’est jamais fait, les collègues ne voudront pas prendre une demi-journée du temps d’école pour l’USEP, l’inspecteur lui aussi ne voudra pas marcher. 

- Écoute, tu t’occupes d’obtenir l’autorisation d’une première expérimentale en la faisant venir d’en haut par le directeur départemental de la Jeunesse et des Sports qui me connait, je m’occupe des collègues et avec eux de la première organisation.

Et ce fut fait. J’avais l’avantage de bien connaître tous les copains et copines du réseau d’écoles que nous avions constitué, d’en connaître aussi beaucoup d’autres par l’intermédiaire du basket, des cantines… (Voir la période 60-68). Je pris ma bagnole et en un tour j’obtins l’adhésion de suffisamment nombreux pour une première rencontre. De son côté avec l’appui du directeur départemental de la JS le conseiller EPS obtint le feu vert de l’inspecteur d’académie, le nôtre n’eut qu’à s’y plier.

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La première eu lieu sur le stade de Beaujeu et comme les participants étaient celles et ceux du réseau d’écoles, elle fut même préparée collectivement par des échanges une quinzaine de jours précédents, les jeux inventés, arbitrés par les enfants eux-mêmes, le conseiller d'EPS n'ayant qu'à assister. Et c’est ainsi que les rencontres USEP firent leur entrée dans le temps scolaire dans le Beaujolais. Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, l’USEP constituait un organisme indépendant de l’EN mais rattaché à la Ligue de l’enseignement qui militait pour une autre vision éducative du sport dont la compétition, les performances n’en seraient pas la finalité.

Un peu plus tard cela a été la piscine. Très entreprenante la direction départementale de la JS du Rhône avait lancé l’apprentissage massif de la natation pour toutes les écoles du département, du CP au CM, toutes devaient y participer et tous les enseignants devaient encadrer les séances, qu’ils sachent nager ou non, ces séances prenant une demi-journée par semaine aussi bien le matin que l’après-midi. Vous imaginez la révolution ! Toutes les piscines étaient mobilisées, des maîtres-nageurs engagés pour assurer la sécurité et perfectionner les nageurs, l’organisation d’un énorme service de transport qui satisfaisait d’ailleurs les entreprises de transports scolaire.

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En plus, l’apprentissage de la natation devait se faire directement en grand bassin, là où les enfants n’avaient pas pied ! Et aucun enseignant formé, c’était sur le tas qu’ils devaient aussi apprendre à enseigner avec l’aide des conseillers de la JS d’une façon totalement inconnue pour eux. Fini le temps où l’on apprenait à plat ventre sur un tabouret en apprenant et répétant les mouvements de la brasse, puis en les reproduisant pendu dans l’eau au bout de la corde d’une perche tendue… et buvant la tasse dès que la corde était relâchée, comme on apprenait à lire en ânonnant des syllabes. 

Vous imaginez aussi les réticences, mais c’était obligatoire !

Et bien ce fut un succès total, dès la première année (1971) plus de 90% des enfants savaient nager. Mais entendons-nous bien : savoir nager n’était pas de bien pratiquer la brasse ou le crawl, c’était se débrouiller, se déplacer et s’amuser dans l’eau sans se noyer quelle que soit la façon orthodoxe ou non qui le permettait. Cela aussi était une révolution culturelle !

Il y avait eu pour tous les enseignants deux surprises inattendues. D’une part ils constataient que lorsque la piscine avait lieu le matin, les disciplines fondamentales qu’ils avaient dû reporter à l’après-midi étaient beaucoup mieux suivies attentivement par les enfants, même les fautes dans les dictées étaient moins nombreuses. D’autre part, encore plus surprenant, les résultats des enseignants ne sachant pas nager étaient supérieurs aux autres ! Comme quoi on aide beaucoup mieux des enfants à apprendre quand on connait pour soi-même ce qui l’en empêche.

Tout ceci aurait dû éclairer sur toutes les méthodes traditionnelles d’apprentissages de l’école. Il n’en a rien été : « Oui, mais ce n’est pas pareil ! »

La responsable de la natation à la JS n’était cependant pas tout à fait satisfaite. Elle regrettait l’ambiance, les cris, les pleurs de certains enfants, le manque de tranquillité qui régnait dans chaque séance. Elle avait entendu parler de l’organisation de ma classe en ateliers permanents accessibles quels que soient les moments et les âges et vint passer une journée à Lantignié. Puis elle m’invita à participer et animer une semaine de réflexions à Mâcon avec quatre ou cinq autres responsables de la natation d’autres départements. Les matinées pour la réflexion, les après-midi dans la mise en pratique avec ma classe de 7 à 11 ans ravie de prendre le car tous les jours pour passer toutes leurs demi-journées dans la piscine. Celle-ci était organisée en ateliers permanents (ateliers sous l’eau, ateliers sur l’eau, atelier sauter, ateliers jeux avec ballon, etc.) et que les enfants sachent nager ou non ils allaient à leur convenance dans les uns ou les autres. À chaque atelier un responsable départemental de la natation qui retrouvait directement le terrain, le maître-nageur de service lui confiné à la sécurité et le plus incrédule. Ce fut d’une grande richesse mais la conclusion générale avait été que jamais cela ne pourrait être mis en place avec les enseignants devant se conformer aux croyances et instructions régissant les apprentissages. Il est de fait que cela ne l’a jamais été, sauf des années plus tard dans la Vienne avec ma classe unique et celles de deux collègues des villages avec qui nous occupions le même créneau de piscine, mais en nous gardant bien d’en parler ou d’en demander l’autorisation.[1]  

En 1976 il y eut un brutal coup d’arrêt qui mit fin à l’apprentissage direct en grand bassin : dans une piscine de Lyon, un enfant est mort par hydrocution. Immédiatement cela a été la recherche des responsables avec la mode venue des États-Unis de tout judiciariser pour le moindre incident. À quelle distance était l’enseignant ? Combien d’enfants avait-il la charge ? Où était le maître nageur ? Que faisait-il ? Etc. Ce n’était plus l’hydrocution qui était responsable et qui pouvait avoir lieu avec n’importe quel contact dans l’eau, même dans 10 cm, avec n’importe quel enfant, dans n’importe quelle autre circonstance. Il fallait trouver un responsable. Aujourd’hui c’est peut-être encore pire et les histoires encore plus ubuesques : un enfant est tombé d’une fenêtre d’une classe : interdiction dorénavant d’ouvrir les fenêtres et de se déplacer en classe ! Le responsable-coupable ne pouvait être que l’enseignant et ses méthodes modernes. Ce n’est pas la sécurité et l’éducation aux risques auxquelles il faut être attentif, c’est à la responsabilité que l’on va encourir. En tout cas cela avait été le retour au classique : d’abord dans le petit bassin pour que les enfants y apprennent à nager avant d’aller dans le grand bain.

Il n’empêche que, tout au moins pour moi, cette expérience a été riche en découvertes mais l’Éducation nationale s’est bien gardée de les transposer dans les autres apprentissages dits, eux, fondamentaux.

Le tiers-temps pédagogique est mort tout seul tout simplement par non application générale. Cependant il a fallu attendre 1984 pour que Jean-Pierre Chevènement, ministre socialiste, mette une fin définitive à toutes ces velléités soixante-huitardes de changement.

Cependant cette période a quand même eu des effets bénéfiques puisque c’est pendant ces années que sont apparues les classes de neige et qu’elles ont perduré et donné naissance aux classes de mer, classes découverte, classes nature… De même pour l’apprentissage de la natation rentrée dans les programmes avec d’autres méthodes que le tabouret, quoique je viens d’apprendre que le ministre s’inquiète que bon nombre d’enfants ne savent pas aujourd’hui nager à la sortie de l’école primaire ; il va peut-être comme pour la lecture syllabique réinstaurer l’apprentissage sur tabouret ! C’est également entre 1971 et 1975 que l’État avait lancé le plan des mille piscines sensé pouvoir doter d’une piscine mille communes volontaires y compris de petites communes pour favoriser l’apprentissage de la natation de tous les enfants. Il y eut ainsi de petits villages avec une piscine, certes pas de dimension olympique et dans laquelle il fallait attendre mai et juin pour y plonger. Bien sûr qu’il y avait une petite arrière-pensée économique puisque dans le même temps il y avait les grands plans d’aménagement touristique des côtes d’Aquitaine et du Languedoc, il fallait bien y préparer un peu les futurs clients.

Prochain épisode : Les maths modernes - épisodes précédents ou index de 1940-2021 

 



[1] Lorsqu’il n’est pas demandé des résultats soigneusement programmés, cadrés et contrôlés, n’importe quel enseignant est libéré, créateur, audacieux !

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