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Le blog de Bernard Collot
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30 mars 2022

1940-2021 (72) - 1975-1995 Se chauffer.

2 – Se chauffer

Second problème à résoudre pour assurer la survie quotidienne. Il y avait bien une vieille cheminée. C’est très beau d’être devant l’âtre qui brûle mais cela ne te chauffe que les fesses si tu les colles près de la flamme ! Nous nous sommes donc procuré une cuisinière très semblable à celle que nous avions lorsque j’étais enfant dans le Bugey (voir les premiers épisodes). Et puis il faut avoir le bois pour l’alimenter, et il en faut ! Et encore une fois je me suis retrouvé comme dans le Bugey quand j’allais avec mon père faire la coupe de bois dans la montagne.

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La différence c’est que ce n’était pas dans la montagne, donc plus facile, surtout que j’avais pu faire l’achat d’une tronçonneuse (vive le progrès !). Et puis c’était plutôt des futaies avec des chênes ou des frênes assez droits. Mais ce n’était pas gratuit. Il était courant dans la région que des propriétaires de bois demandent à des personnes de réaliser la coupe de leur bois de chauffage en partageant en deux parts la coupe réalisée. Une sorte de métayage périodique. La mesure du bois était la corde (3 stères). Lorsque l’on a besoin d’un stère il faut en couper deux, ça va. Mais lorsqu’on a besoin de 10 cordes, il faut en couper vingt (60 stères), c’est une autre affaire. J’avais trouvé un propriétaire qui en avait besoin pour éclaircir ses bois et son propre chauffage à quelques km : dès la chute des feuilles chargement de la tronçonneuse et les mercredis, petites vacances et WE je me transformais en bucheron.

Beaucoup dans la région faisaient ainsi pour alimenter leur cheminée, mais d’une part ce n’était pas leur chauffage permanent donc un ou deux stères leur suffisaient, d’autre part c’était l’occasion pour eux de se réunir un ou deux WE à plusieurs pour partager les différentes opérations à effectuer et de faire un peu la fête  lors du repas. Seul comme j’étais, c’est plus compliqué : ce n’était pas une coupe rase comme dans le Bugey, mais plutôt un éclaircissage donc il fallait laisser les futs plus importants ce qui rend l’abattage plus délicat quand l’arbre que tu abats tombe du mauvais côté et reste coincé dans les branches d’un autre et que tu te demandes comment tu vas t’en sortir. Tous les petits incidents sont aussi plus difficiles à résoudre comme lorsque par exemple la chaîne de la tronçonneuse reste coincée dans l’entaille parce que tu as mal estimé la direction de la chute. Tu as intérêt à être concentré sur ce que tu fais, à savoir où se trouvent tes jambes si tu ne veux pas te les tronçonner en même temps que la branche ou si tu ne veux pas être coincé sous le tronc d'un arbre abattu. Un moment d'inattention et hop tu te retrouves à l'hosto, mais comme il n'y a personne pour t'y amener, tu fais gaffe à tout.   Mais du coup ton esprit n'est plus embarrassé par des soucis ou autres divagations. Cela vaut toutes les séances de yoga ou séjours chez des coachs de tout poil.

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Et puis le débitage sur place en 1m, l’encordage  sur place (empiler ce qui a été débité en une rangée de 1m ou 2 de hauteur) parce qu’il faut bien que le propriétaire puisse voir et mesurer la part que tu dois emporter, l’emprunt du tracteur et de la remorque des deux frères pour ramener la charge à la maison, nouvel encordage à l’extérieur pour que le bois sèche (il faut toujours avoir au moins une saison d’avance), le débitage en buches avec un scieur (un autre petit métier disparu), nouvel empilage des bûches à l’abri, les fendre au merlin,… Ouf ! Et ta première opération en te levant l’hiver est d’allumer le poêle.

On disait que le bois t’avait chauffé bien avant qu’il ne brûle dans ton poêle. Je confirme ! C’était surtout le dos pour le familier des lumbagos que j’étais qui parfois ralentissait le bucheron mais tu apprends à gérer ton corps, à comprendre à quoi servaient les ceintures de flanelle de ton grand-père, à faire avec… et qu’est-ce que tu dors bien le soir !

J’avoue qu’au bout de cinq ou six ans, nous avons changé la cuisinière pour une « bois et charbon », et le tas de bûches a été remplacé par le tas de boulets. La porte avait été changée donc plus de courants d’air, dans ces vieilles maisons une seule source de chaleur suffit et le charbon permet le feu continu la nuit. Tu perds juste l’odeur, celle du charbon n’est pas terrible surtout si tu n’as pas ramoné correctement ta cheminée. La pollution par le charbon ? Personne n’en parlait encore.

En revenant de l’école, entre le jardin, le bois, les bricolages urgents, les abeilles (j’en reparlerai), pas le temps de s’ennuyer, de chercher quoi faire ou des loisirs intelligents qui n'ont pas d'utilité immédiate, ou de ruminer sur sa condition. Mais je n’ai jamais été aussi en forme, aussi pragmatique, aussi libre d’esprit et décontracté que durant ces années. Lorsque tu es ainsi, paradoxalement tu deviens disponible ; avec du recul c’est ce qui explique peut-être ce que j’ai pu faire à l’école. D’autre part tu n’es plus un fonctionnaire hors sol, tu sais ce qu’est aussi la vie de beaucoup de familles qui te confient leurs enfants qund tu n'enseignes pas dans un quartier bourgeois.

Prochain épisode : l'aventure des abeilles  épisodes précédents ou index de 1940-2021

Commentaires
J
Bonjour,<br /> <br /> Oui, je suis d'accord, faire son bois de chauffage demande beaucoup de concentration, et s'apparente finalement à une forme de méditation associée à de l'exercice physique "utile" !. Tout comme d'ailleurs le travail manuel en général. Merci pour ce message.
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J
Depuis quelques années je fais mon bois de chauffage et quand je vois les gens payer des séances de sport, ou de musculation je préfère cet effort physique qui a un sens. J'ai appris en faisant, comme toute chose, mais surtout un ami bucheron m'a montré. Du coup, je me suis senti plus en confiance. J'ai beaucoup de respect pour les bucherons qui font ça toute la journée. Ça demande une intense concentration, et effectivement en terme de méditation, on est obligé de focaliser son attention sur tout ce que l'on fait. Finalement, on fait du sport et de la méditation. Dans notre monde "moderne" la valeur du chaud est perdue. En faisant mon bois, je sais ce que cela vaut. C'est bien différent que d'allumer un bouton et d'avoir chaud. On oublie bien vite qu'il y a toute une chaine humaine qui est derrière, faite de beaucoup de labeurs, et génératrice de tant de pollutions.
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