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Le blog de Bernard Collot
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6 avril 2022

1940-2021 (75) – 1975 à 1995 – L’île d’Oléron, le Médoc, les vacances.

Si les vacances scolaires étaient consacrées à tout ce que je devais faire et avais entrepris à la maison, peu à peu nous étions arrivés à emmener nos enfants une semaine ailleurs. Les vacances sont surtout une courte période pendant laquelle un changement de décor, d’environnement et de relations sociales vous vident la tête et la rendent plus disponible pour reprendre la vie ordinaire. Aujourd’hui, ne pas pouvoir ne pas partir et rejoindre les cohortes sur les autoroutes c’est une des marques de ta condition sociale au bas de l’échelle. Dans le hameau, nous étions des privilégiés pour pouvoir le faire mais nous ne faisions même pas envie aux habitants « Qu’est-ce qu’ils ont à vouloir aller voir ailleurs ? »

Nos deux destinations étaient l’île d’Oléron et le Médoc. À l’époque la rentrée scolaire était mi-septembre. La semaine précédant la rentrée, la plupart des vacanciers avait quitté leurs villégiatures d’été pour retourner au boulot ou préparer la rentrée scolaire, les campings étaient quasi vides et beaucoup moins chers, aucun bouchon sur les routes, c’était cette semaine où nous partions.

La côte atlantique était à seulement deux heures de chez nous. Nous chargions la R21 break avec la tente et le matériel de camping et nous allions sur l’île d’Oléron, en grande partie vidée de ses touristes.

 

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J’ai beaucoup aimé cette île quand elle avait retrouvé une vie normale. Je passais de longs moments au port de la Cotinière, à voir partir et revenir ce qui n’était encore que de petits chalutiers accompagnés de nuages de mouettes et discuter avec les pêcheurs, à assister à la criée… Quant à la plage, elle était presque rien qu’à nous ! Et puis le délice des huitres avec un petit muscadet ! Je n’ai jamais autant joui des vacances que pendant cette période. 

 

L’autre point de chute était le Médoc dans la famille de ma compagne d’alors. Encore un autre monde qui avait d’ailleurs quelque ressemblance avec celui de la période d’avant dans le Narbonnais.

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C’étaient aussi de petites gens dont le village, l’habitation et la vie quotidienne n’étaient pas très différents de ceux de la famille précédente à Coursan près de Narbonne, à part la pétanque et la bouillabaisse. Normal, deux grandes régions viticoles et même si le Médoc était le fief des Arnault, Pinault, Wertheimer et autre Rothschild et de leurs châteaux et crus célèbres, l’exploitation du personnel viticole était bien la même que dans le Languedoc.

 

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Ce que j’ai particulièrement aimé là-bas c’était l’estuaire de la Gironde. Les touristes étaient beaucoup plus attirés par le circuit des châteaux des grands crus ou par les plages de l’Atlantique que par ces lieux avec une nature encore quelque peu sauvage mais pas forcément spectaculaire. Un peu comme l’arrière pays charentais avec ses prés salés et ses dédales de canaux.

 

 

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On y accédait par de toutes petites routes aboutissant à de minuscules villages et le plus souvent àun ponton surgissant au milieu des roseaux avec en bout le carrelet d’un pêcheur. Dommage, je n’ai jamais pu m’y trouver au moment du mascaret, la grande vague qui remonte tout l’estuaire au cours de la grande marée ou au moment de la pêche des pibales (les civelles : jeunes anguilles) lors de leur remontée migratoire dans l’estuaire. Heureusement que ces régions n’attirent pas trop les touristes avides de plages à se mettre en maillot de bain ou de monuments à visiter (en payant l’entrée !) parce qu’il faut absolument les visiter indiquent les prospectus.

Les vacances, c’est un drôle de phénomène du XXème siècle, encore pire dans notre XXIème. En 1936 avec l’obtention des congés payés c’était vraiment une conquête de haute lutte, une conquête ouvrière, une libération pour deux petites semaines de ce qu’il faut bien appeler l’esclavage industriel. S’il y avait les premiers grands départs, c’était autant pour respirer un temps autre chose que les fumées d’usines que de se retrouver avec d’autres dans des relations enfin humaines, dans un autre « être ensemble ». Les premiers campeurs des années 30 m’ont raconté dans les années 70 l’esprit de solidarité et de convivialité qui existait alors dans les campings sauvages et que déjà ils regrettaient de ne plus retrouver.

Les vacances, c’est ce qui depuis déjà longtemps est l’unique attente chaque année. À l’école comme au travail, dans une vie qui n’a plus grand sens. Le patronat, les employeurs et les dirigeants du « travailler plus » ne peuvent d’ailleurs les supprimer parce qu’après avoir épuisé la marchandise des travailleurs il faut bien accorder un temps à celles et ceux qu’ils emploient pour qu’ils se régénèrent et être à nouveau utilisables à la rentrée. Sont-ils d’ailleurs vraiment régénérés ces travailleurs après avoir rejoint les cohortes sur les autoroutes, respirer les gaz d’échappement en guise de bon air, s’être entassés dans les lieux affectés aux vacances dans le chacun pour soi ? Au retour il faudra qu’ils travaillent encore plus pour tâcher d’économiser ce qui leur permettra de recommencer l’année suivante.

Et puis les vacanciers, requalifiés en touristes, sont devenus l’objet lucratif d’un bizness. Ce n’est même pas caché : telle ou telle région ne vit que par l’industrie du tourisme. On commence à peine à se rendre compte que ce tourisme de masse soigneusement encouragé a détruit des écosystèmes entiers et son agriculture vivrière, condamné les autochtones à ne plus pouvoir profiter des endroits où ils vivaient et à participer à la ponction du budget des dits touristes dans les boutiques du dérisoire et de l’inutile…. en provenance de Chine ou d’ailleurs où ceux qui les fabriquent n’en ont même pas… de vacances.

La carotte, le rêve, le besoin de ces vacances devenues la seule attente d’une grande partie de la société, n’est-ce pas un des signes que celle-ci est invivable ? Mais même pendant les vacances on ne peut plus la fuir.

Prochain épisode : l'autre vie à Moussac et son école - 

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