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Le blog de Bernard Collot
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9 décembre 2022

1940-2021 (163) - 2 004, à nouveau parent d'élève !

I -  À l’école publique

 

Bien sûr, comme les autres, il voulut aller à l’école. Nous étions un peu comme un médecin-naturopathe qui confierait son enfant à un médecin allopathe ne prescrivant que des médicaments. Cependant nous pouvions quand même tenter l’expérience en sachant que nous pouvions l’interrompre à tout moment. À l’époque l’instruction en famille était tolérée puisque c’était l’instruction qui était obligatoire, pas l’école. Nous l’avons donc inscrit dans le regroupement pédagogique éclaté de trois petites communes du secteur puisqu’à Bué il n’y avait plus d’école.

Pour l’école, je fus un parent d’élève quelque peu particulier : un père âgé, parent au foyer, donc avec quelque expérience et du temps, qui avait été instituteur de campagne, donc connaissant toutes les ficelles et tous les arcanes de la machinerie scolaire. D’autre part le hasard avait voulu qu’en 2 002, à la parution de mon premier livre chez L’Harmattan (« Une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche »), la libraire de Sancerre m’avait demandé d’en faire la présentation dans une petite conférence. À cette conférence assistaient deux enseignants du RPI venus voir qui était cet hurluberlu qui parlait de changer l’école, Bernard Senné, directeur des classes de CM à Crézancy, et Monique Rix, directrice de la maternelle à Sens Beaujeu. Tous les instits savaient donc à qui ils avaient affaire.

Bernard et Monique faisaient encore partie de ces instituteurs ruraux d’autrefois que j’avais été, ne considérant pas que leur métier était seulement de faire des leçons. Si leurs pédagogies étaient classiques, l’attention qu’ils portaient aux enfants, à leur vie comme à la vie du village, n’était pas celle de simples fonctionnaires. Dans le passé, j’avais toujours eu de l’estime pour ceux-ci même si nous n’étions pas d’accord sur les pédagogies. Sur ce point, nous avions donc quelque chose de commun qui se traduisit d’emblée par le tutoiement. Tous deux étaient très estimés par les trois villages.

Les instits ont bien dû penser au début que j’allais être celui qui allait leur créer des problèmes. Il n’en fut rien : je savais pertinemment que flanquer la pagaille dans une structure qui satisfaisait tout le monde était inutile et contreproductif. Pour moi l’essentiel était que Martin y trouve son compte dans ce dont il avait besoin : des copains, jouer avec eux, les inviter à la maison… Je n’ai donc jamais émis la moindre critique publique sur ce que ces instits faisaient. A contrario, à plusieurs occasions c’est moi qui ai pu tempérer ce qui aurait pu tourner au vinaigre.

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Aucun problème pour Martin dont l’école était pour lui avant tout des copains et chez Monique c’était cool.

Dès la première année, il y eut un événement : Bernard Senné devait prendre sa retraite, or c’était lui qui avait créé les cantines des trois villages et qui les gérait. Pour ce faire il avait bien créé une association de la cantine scolaire, mais de facto c’était lui qui s’occupait de tout. Nous avions tous deux un autre point commun (voir la période du Beaujolais). Il fallait bien une autre structure qui prenne sa relève. J’étais évidemment celui qui connaissait le mieux le problème. J’ai donc proposé la création d’une association de parents d’élèves dont je fus comme autrefois au collège de l’Isle-Jourdain le premier président. Peut-être les instits ont-ils eu au début quelques craintes de voir cet hurluberlu vouloir répandre ses idées par ce biais. On croit toujours que les « alternatifs » vont casser la tranquillité de tous les autres ! En réalité je n’ai rien fait d’autre que d’utiliser mon expérience du monde scolaire et de ses institutions pour, en tant que représentant des parents d’élèves, essayer de maintenir une cohésion et les relations entre la communauté éducative. Pour ce faire j’avais comme toujours réalisé un bulletin régulier des parents d’élèves. Je ne dis pas que je n’y ai pas glissé prudemment de temps en temps quelques infos qui pouvaient éventuellement faire réfléchir, mais rien de plus.

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Après la maternelle, ce fut la grande section et le CP à Crézancy. Là c’était une instite, Julie, assez jeune qui était assez convaincue des méthodes plus ou moins actives. Si cela me satisfaisait, curieusement c’était moins le cas pour Martin : il y avait un cadre à respecter ! En somme il faisait connaissance avec le système et si la maîtresse était gentille, il ne pouvait s’empêcher de troubler le cadre. Mais, lorsqu’un enfant trouble un cadre sans pour cela être rejeté et déconsidéré par celles et ceux qui ont besoin de ce cadre, il prend moins ce à quoi il doit se plier comme une injustice contre laquelle se révolter et il se débrouille avec. Cela a peut-être été un peu plus difficile pour Julie que pour lui. En tout cas, il y avait toujours les copains et copines et il ne rechignait toujours pas pour partir à l’école.

Et puis les deux dernières années à Crézancy.

En CE1 ce fut une institutrice assez âgée qui voulait finir sa carrière en allant dans les pédagogies nouvelles, tendance pédagogie institutionnelle. On ne dira jamais assez la difficulté pour ces enseignants qui veulent se lancer dans ce qui est un changement de paradigme lorsque ni l’environnement des collègues ni l’environnement des parents n’ont une idée de ce que cela induit, même si cela n’est pas très radical. Et puis elle n’avait qu’un an pour ce faire. Je n’ai cessé de répéter que nous dans les classes uniques n’avions pu le faire que parce que nous étions dans une praxis qui durait six ou sept ans. De par ma position dans l’association des parents d’élèves, je pouvais cependant atténuer le choc en expliquant.    

Pour les enfants aussi c’était d’emblée un nouveau monde qui n’est pas celui habituel et de là à vouloir en profiter, il n’y a qu’un pas. Un pas immédiatement franchi par deux ou trois loustics bien connus dans le village avec évidemment Martin. Si nous avions voulu pendant toute sa scolarité mettre notre nez dans le choix de ses copains en ne lui laissant que ceux « bien élevés », il n’en aurait pas eu ! Mais lui non plus n’était pas blanc et dès qu’il y avait un cadre, il fallait qu’il le trouble, même si c’était malignement c’est encore pire pour ceux qui durent le supporter. Ce jour-là, il avait un peu trop poussé grossièrement l’insolence. De ce fait il a toujours été pris pour le leader des événements qui ont troublé l’ordre scolaire. Aujourd’hui encore lorsque nous nous remémorons le passé, cela le met hors de lui.

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Si bien qu’un jour l’institutrice a craqué. Ce soir-là, lorsque j’étais allé le chercher à la sortie de l’école, manifestement il s’était passé quelque chose dont Martin était le protagoniste, tous les mômes en parlaient. Martin, un peu penaud, mais sans plus, me dit qu’il fallait que j’aille voir la maîtresse. Nous l’avons trouvée littéralement bouleversée, écroulée sur son bureau. Je sentis qu’il ne fallait surtout pas en rajouter et demandai calmement ce qui s’était passé. Avec les trois ou quatre loustics dont Martin, sa journée avait été particulièrement difficile, si bien qu’elle avait craqué et en fin de journée cela avait été Martin qui avait ramassé une volée de bois vert. Cela se comprend : nous en voulons plus facilement à celui qui nous déçoit. Il est certain qu’elle était plus que désolée de son geste et ne faisait que s’excuser. Dilemme pour moi le père : défendre immédiatement mon môme, ce qui est le rôle de tout parent, en descendant en flammes la maîtresse ?  Peut-être s’attendait-elle à cela. L’expérience joua instinctivement : lorsqu’il y avait un conflit dans ma classe unique, bien sûr j’intervenais pour le stopper, puis j’essayais de rétablir le lien par ce qu’on appelle le message clair entre les deux antagonistes au lieu de fustiger l’agresseur. Je fis la même chose, ce d’autant qu’on pouvait quand même dire que les torts étaient partagés. Nous sommes sortis rassérénés et n’en avons plus parlé, Martin n’avait d’ailleurs pas plus été perturbé que cela par cet événement. Je ne sais pas si cela avait été la même chose pour l’instite. Lorsque nous en parlons aujourd’hui, cela a été pour lui sa meilleure classe. C’est là qu’il a commencé le théâtre.

Et puis le CM2 dans l’autre classe et là ce fut une autre paire de manches. Instite très traditionnelle, autoritaire et très sûre de ce qu’elle devait faire et demander. Sentant venir le vent, dès la réunion de rentrée où elle précisait à quelle sauce tout le monde allait être mangé, j’avais précisé publiquement et précisément qu’en ce qui concernait les devoirs à la maison, absolument rien ne l’autorisait à les rendre obligatoires. Par conséquent, si des parents obligeaient leurs enfants à les faire c’était leur affaire et, pour ce qui me concernait, non seulement je laisserai tranquille Martin à ce propos, mais je monterais au créneau si cela lui faisait subir des sanctions en classe. D’ailleurs, pendant toute sa scolarité, même au lycée, il n’a fait en dehors de l’école que ce qui éventuellement l’intéressait tout en sachant les conséquences et les assumant.

Cette instite n’a pas pu empêcher Martin de continuer à faire ce qu’il voulait et à l’empoisonner. Il faut dire que même d’autres parents commençaient à ruer dans les brancards.

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Pendant cette période j’étais quand même un peu chagriné par la façon plus ou moins mécanique dont il devait ingurgiter ce qui était appelé apprentissages. Enfin, je croyais qu’il ingurgitait, parce qu’ensuite il m’a expliqué qu’il se contentait d’être en classe et qu’il n’a plus eu aucun souvenir de ce que tous les enseignants qu’il avait subis avaient pu lui faire faire en dehors des retenues, sauf pour un ou deux profs du lycée. Il n’empêche qu’au début à la maison j’ai quand même perfidement essayé de le lancer dans ce qui aurait pu l’inciter à écrire, à imaginer dans le langage mathématique. En pure perte ! Dès qu’il reniflait que j’allais être comme un instit malin, il se fermait immédiatement et j’ai vite abandonné. Jusqu’à 17 ans, il n’a jamais rien écrit ni lu à part des BD et des revues de catch. Et puis, en commençant par « Jonathan le goéland », en continuant par « Martin Eden » de London puis par « la peste » de Camus, il n’a plus arrêté de lire. Simultanément il s’est mis à écrire du rap, des poèmes, des chansons dont ceux qui les écoutent disent que c’est dans la lignée des Brassens, Brel, Prévert… En ce moment il écrit une pièce… en alexandrins. Ces premiers écrits étaient bourrés de fautes, aujourd’hui il n’a même plus besoin de correcteurs. Il avait été à l’école… sans être à l’école ! 

En somme école et collège ont été l’apprentissage de la liberté et de l’émancipation en milieu hostile tout en restant pacifique. Si c’est encore la jungle qui attend les enfants dans leur vie active, il faut aussi qu’ils aspirent à autre chose que d’y participer. Cela est peut-être plus facile lorsque les parents sont quelque peu complices !

Ceci dit, c’est l’école qui nous a permis, Nathalie et moi, de trouver les vrais amis que nous avons dans la région. Cela a été l’école qui nous a permis de nous repérer. Dans la défense des petites écoles, nous avions toujours insisté sur ce rôle qu’elles avaient dans les relations sociales. Les enfants sont l’intérêt commun qui nous fait rencontrer et nous reconnaître.  C’est peut-être parce qu’à Bué il n’y avait plus d’école que nous y avons si peu de relations.

Mais surtout pour la première fois avec le dernier de mes enfants, je n’étais plus que le papa. L’arrivée tardive de Martin alors que j’étais à la retraite m’a enfin fait connaître ce bonheur.

 

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