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Le blog de Bernard Collot
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20 août 2012

Un Etat peut-il se révolter ?

La question peut paraître curieuse puisque, habituellement, lorsqu’il y a révolte c’est celle de personnes contre l’État, contre ses institutions.

Mais pourtant, si l’État était l’émanation de la Nation, il serait lui aussi ce que l’on appelle une personne morale, bien que « morale » soit un adjectif curieux dans ce cas. La personnalité juridique donne à la personne morale des droits et des devoirs. L’État a donc des devoirs envers ceux dont il émane. Et l’État n’émane pas des financiers ! Il semble que cela soit oublié depuis longtemps si cela a pu être un jour le cas, en dehors des grands principes donnant lieu à de grandes phrases.

La révolte n’est pas toujours sanglante. Elle peut consister en un refus légitime d’appliquer des règles absurdes et contraires à l’intérêt général. On appelle cela la désobéissance civique. Les « enseignants désobéisseurs » en ont donné dernièrement un bel exemple. Cette révolte qui devient une résistance ne met pas en cause l’institution mais son fonctionnement. Ou l’institution les met au pas, les broie, les élimine, ce qui devient difficile quand leur nombre augmente puisque cela reviendrait à ce qu’elle se détruise elle-même. Ou, à terme, elle prend en partie en compte les motifs de la résistance, en particulier lorsque le nombre de désobéisseurs augmente et ne serait-ce que pour sa propre sauvegarde, ce qui a été le cas avec le mouvement des désobéisseurs dans l’Éducation nationale. On peut noter qu’avant cette désobéissance ouverte et affichée, bon nombre d’enseignants et depuis longtemps désobéissaient sans rien dire dans leurs coins, ce qui s’appelle faire semblant d’obéir !

Sans cette capacité de révolte et de résistance des personnes, aucune entité sociale ne peut évoluer et dans aucune de ces entités les personnes ne peuvent exister, de la famille à l’Europe.

Considérons donc notre État comme une personne morale. Contre quoi cette personne pourrait se « révolter » ou « résister » ? Évidemment contre d’autres institutions dans lesquelles elle est à son tour insérée. Il s’agit alors des institutions européennes et internationales. Ce qui est frappant, c’est qu’aucun des États imbriqués dans un fonctionnement qui les lamine et qui lamine surtout les personnes dont ils émanent, n’est manifesté la moindre velléité de résistance contre ce fonctionnement qui n’est, comme tout fonctionnement, qu’une invention, qu’une imagination. Ils ne sont plus des personnes morales, autonomes, ils ne sont que les rouages de la machine… qu’ils ont inventée. Ils n’émanent plus de peuples, ils enserrent des peuples.

Peu importe que leurs dirigeants soient de droite ou de gauche, ils sont au service des machines qui prennent le nom d’institutions dont la finalité n’est qu’assurer leurs propres survies au bénéfice d’elles-mêmes et d’une poignée d’individus.

Il paraît impensable de penser qu’une dette, qui n’est que des chiffres dans des ordinateurs, puisse s’effacer d’un clic, que le travail pourrait se partager (ce qui mettrait la machine économique et financière en péril puisqu’elle a besoin de chômeurs pour fonctionner), que les monnaies pourraient se réinventer autrement, que les congés et les retraites ne sont que ce qui permet de maintenir des travailleurs en état de productivité ou à les jeter lorsqu’ils ne sont plus utilisables, etc.

Ce qui est surprenant, c’est que ceux dont devraient émaner les institutions, en théorie à leur service, ont intégré la machinerie comme naturelle, comme les esclaves intégraient leur statut d’esclave comme naturel. Ils ne peuvent éventuellement que s’indigner de ce que leur fait subir ce qui n’est qu’une machine, mais ne peuvent sortir de la machine, envisager de la changer qu’elle pourrait être autre. C’est ce que Castoriadis appelait l’hétéronomie.

Et pourtant : Il était tout aussi impensable en 1789 que dans l’Europe monarchique, quasiment aussi réelle que celle d’aujourd’hui, un État se distingue des autres par son mode de fonctionnement, par la rupture de ce qui les liait aux autres. Impensable de confisquer les biens du clergé et de la noblesse, d’abolir les privilèges, etc. La terre aurait dû s’arrêter de tourner. Elle ne s’est pas arrêtée de tourner ! Elle a quelque peu changé son cours. Les nobles sont partis… et sont revenus ! Il était impensable d’accorder des congés payés aux travailleurs en 1936, l’économie allait s’écrouler, les entreprises disparaître à cause de ces fainéants. L’économie ne s’est pas écroulée !...

Qu’est-ce qui se passerait si les Grecs sortaient de l’euro, du fameux et mystérieux marché, s'ils effaçaient d’eux-mêmes des dettes que de toute façon ils ne peuvent payer et dont d’ailleurs aucun des citoyens ne sait qui les encaisse ? On leur prédit quasiment leur mort. Et les Grecs le croient. Certes, la machinerie qui englue tout le monde s’écroulerait probablement. Mais peut-on alors imaginer que tout un peuple ne ferait rien d’autre que de se laisser mourir de faim ? On ne peut pas prédire ce qu’ils inventeraient alors pour survivre, mais ils inventeraient nécessairement des formes d’organisations ou d’auto-organisations qui ne rentreraient pas dans les normes de la machinerie institutionnelle qui gouverne la planète. Après la pulsion de mort, la pulsion de vie. Ce n’est pas de l’utopie, c’est un fait largement et régulièrement constaté dans l’espace historique ou l’espace géopolitique contemporain. Toutes ces communautés s’autogérant l’ont démontré, comme la machinerie institutionnelle a démontré qu’elle ne pouvait les supporter… à juste titre puisqu’elle courrait le risque d’être détruite… sans violence !

Il est évident qu’aucun État européen, personnes morales, ne se révolte ou ne résiste à des institutions inventées, simplement inventées. Les Grecs (les Espagnols, les Italiens, les Français…) ne peuvent le faire que contre leur État. Et c’est ensuite à l’État de résister ou de se révolter. Pas de se révolter contre d’autres États, se révolter contre les machineries qui les lient. Dans l’hétéronomie généralisée (incapacité de saisir que les fonctionnements sociaux et les mondes dans lesquels on vit ne sont pas naturels mais ne sont que des inventions de l’esprit et qu’en ce sens ils pourraient être inventés autrement), cela semble impensable, impossible, reste impensé. Les États, les institutions qui devraient être l’émanation des citoyens et au service des citoyens n’émanent plus de personne. Ce ne sont que des rouages qui ne trouvent plus aucune résistance… mais qui se grippent tout seuls.

 Désolé, je sors de mon domaine de petites compétences ! Dire que ma toute petite expérience d’instituteur que je me suis permis d’appeler du 3ème type m’autorise à écrire cela serait quelque peu osé ! Pourtant j’ai pu y constater l’incroyable potentiel des enfants d’une espèce sociale dont les adultes n’en sont encore qu’au stade de l’espèce grégaire… et encore !

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