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Le blog de Bernard Collot
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13 novembre 2015

Liberté ? À l’école ? Ailleurs ?

 

Liberté

 Il est impossible de parler d’école sans la situer dans le contexte sociétal.

Inscrit au fronton de notre république, réitéré dans les discours, s’il est un mot qui est vidé de son sens et qui finalement fait peur à tout le monde, c’est bien celui-ci. Que n’a-t-on surtout pas fait en ton nom ?

Liberté d’agir, liberté de penser et d’exprimer, liberté d’être, on peut l’assortir de n’importe quel complément on ne peut que rester perplexe quant à son effectivité.

Bien sûr, nous faisons partie d’une espèce sociale, quoique je pense que nous n’en sommes encore qu’au stade grégaire, nous sommes donc nécessairement contraints par les interdépendances sociales sans lesquelles individuellement nous ne pourrions survivre. Sans ces interdépendances, chacun serait aussi libre que l'est un chat. Ce sont de ces interdépendances que devrait surgir, normalement, une organisation qui évolue suivant qu’elle assure ou non la survie et le bien-être de chacun. Mais d’où peut émaner cette organisation si ce n’est de ceux qui ont à survivre et à vivre ensemble ?

La liberté fait peur. Elle fait peur parce qu’on pense que chaque individu est incapable d’en user sans mettre en danger l’organisation sociale établie. Nous sommes une espèce qui voudrait être sociale mais qui ne fait aucune confiance en la capacité sociale de chacun de ses membres. Nous n’avons pas tout à fait tort puisqu’aussi bien dans le social-historique de notre société qu’au quotidien dès l’enfance aucun habitus de l’usage de la liberté n’a été acquis. Si brutalement elle était vraiment instaurée totalement, nous serions peut-être embarrassés avec elle.

On me dira « Mais voyons, nous sommes bien dans un des pays les plus libres au monde ! ». Oui si on estime notre liberté par rapport à la non-liberté qui peut exister ailleurs. Mais on ne voit plus dans le quotidien, dans les institutions, ce qui réduit cette liberté parce qu’on a intégré cette non-liberté comme normale, c’est l’hétéronomie dont parlait Castoriadis, les habitus dont parlait Bourdieu… La liberté même de penser n’existe plus quand on n’est plus capable de penser différemment.

Tous les cadres instaurés (la Loi), depuis que les organisations sociales ne se sont plus celles de microgroupes, consistent à indiquer ce que chacun ne peut pas faire, doit faire et quand le faire (interdits, obligations, devoirs et sanctions). Ils définissent également les positions dans une hiérarchie sociale et les pouvoirs de quelques-uns sur les autres suivant les places occupées. Plus la position est élevée et moins on est contraint par ce qui est imposé aux autres ou plus on peut digresser impunément[1]. Les variations de la liberté et des limites de son exercice ne sont même pas liées à l’autre principe républicain, l’égalité, même pas l’égalité devant la loi.

La liberté se traduit aussi dans les possibilités d’initiative. L’initiative est une action qui ne dépend que du libre arbitre de chacun. Dans notre société elle n’est permise que dans la sphère privée et le temps réduit comme les moyens que chacun peut consacrer à cette sphère. En dehors, elle ne peut être que celle qui passe sous les fourches de l’acceptation soit dans le meilleur des cas par un collectif qui en apprécie l’intérêt (initiative citoyenne), soit si elle répond aux intérêts de l’Institution ou des employeurs, d’une façon plus générale si elle s’inscrit dans la conformité et les limites de ce qui est institué. L’initiative ne doit pas faire courir de risques à la société telle qu’elle est, du coup même quand elle est permise, elle fait hésiter à prendre la liberté pour l’assumer.[2]

Dès la naissance, chacun rentre dans un cadre et la socialisation consiste à l’intégrer sans avoir la possibilité de le discuter, voire de le remettre en question. Or ce cadre n’a jamais été élaboré par ou avec ceux qui avaient ou auront à y évoluer.

Cette socialisation aboutit à substituer l’identité sociale à l’identité de la personne (à l’école l’enfant n’est qu’élève). Il faut se conformer à la première, ce qui empêche la seconde de se construire au mieux. Lorsqu’est perdue l’identité sociale ou qu’elle est peu positive (lorsqu’on devient chômeur) la personne est alors extrêmement fragile. Or toute identité ne peut se construire que dans le tâtonnement expérimental de la liberté parmi les autres, essentiellement pendant l’enfance, en même temps que toute socialisation qui induit la participation à l’élaboration des règles permettant la liberté des être et agir. Si ce ne peut être fait, nous n’avons plus qu’une identité sociale à laquelle il faut se conformer et bien souvent dans laquelle il faut rester.

À l’école, la liberté des enfants parait encore non seulement impossible mais aussi néfaste, voire dangereuse. C’est donc l’endroit où la liberté est la plus limitée… à rien, avec une bonne intention puisqu’on imagine d’une part impossible que les enfants apprennent ce qu’ils doivent apprendre s’ils n’y sont pas contraints, d’autre part que s’ils étaient libres de ce qu’ils veulent faire ce serait « l’anarchie » en ne donnant pas à ce terme le sens que lui donne Edgar Morin : la forme la plus complexe de l’organisation du vivant (donc des groupes de vivants). Il s’agirait même de les « protéger » !

Je ne reviendrai pas sur ce que sont les apprentissages naturels quand les enfants sont dans les conditions et la liberté de les réaliser, mais j’insisterai à nouveau sur ce qu’induit naturellement la liberté d’être et d’agir parmi les autres : la nécessité d’une auto-organisation collective qui la permette et la rende féconde. Autrement dit une organisation ne restreint pas ma liberté mais au contraire doit me la permettre[3]. Nous avons largement démontré, ainsi que d’autres, la capacité des enfants, avec l’aide d’adultes aidants, de créer cette organisation qui devrait faire envie au monde adulte[4].

Je pense et j’affirme que l’école traditionnelle en refusant toute liberté et tout tâtonnement expérimental de cette liberté aux enfants et adolescents, non seulement empêche leur propre construction identitaire mais grève à jamais leurs capacités d’être acteurs créatifs de la vie sociale. L’école fait ainsi perdurer une situation sociale et sociétale dont tout le monde s’accorde qu’elle va de mal en pis. L’école a une responsabilité énorme dans l’hétéronomie dans laquelle se trouve notre société aujourd’hui, incapable d’imaginer et encore plus de mettre en œuvre le moindre changement qui pourrait satisfaire la totalité de ses membres. Dans une fuite en avant perpétuelle, ce sont toutes nos libertés qui s’amenuisent insidieusement, sans qu’une majorité ne s’en rende compte ou s’en offusque (le contrôle institutionnel dans tous les domaines). Il n’y a plus qu’une machine sur laquelle plus personne n’a aucun pouvoir, ne pense avoir aucun pouvoir, la robotisation inexorable des personnes.

PS : Je modère quand même mes propos en constatant le nombre croissant de personnes qui ne l’acceptent plus, au moins pour leurs enfants. Soit elles ont échappé à cette robotisation, soit elles l’ont trop subie pour ne plus vouloir l’accepter ! Il y a donc quand même de l’espoir dans l’espèce humaine !!!


 

[1] Il suffit de comparer les libertés de vie possibles à un salarié smicard avec celles des pdg et autres tenants de pouvoirs instaurant et maintenant le cadre social.

[2] On peut constater comment toutes les initiatives citoyennes ont du mal à se développer dans les cadres qu’elles mettent en danger, créer une école alternative, créer une monnaie locale, des échanges de services (concurrence déloyale !), habitats alternatifs (non conformes !), produire ses propres semences, etc. etc.

[3] Se suffire de la formule « ma liberté s’arrête ou commence celle des autres » est absurde quand les unes comme les autres doivent s’exercer au milieu des autres, elles se gênent alors nécessairement toutes.

[4] Mais bien sûr, pour des enfants (comme pour des adultes !) qui vivent par ailleurs sans avoir pu se construire un comportement par rapport à la liberté, il apparaît qu’une transition est nécessaire, l’expérience, les expériences multiples (vécus) le démontrent toujours. Je l’ai souvent abordé et il me semble avoir parlé quelque part de l’ingénierie de la liberté. A plus ou moins long terme, la Loi n’est même plus nécessaire, une culture s’y substitue. Il s’agit cependant toujours de petites structures hétérogènes, les seules ou un collectif peut se reconnaître en tant que tel et ou chacun peut s’identifier et se faire reconnaître comme une personne autonome dans ce collectif.

Commentaires
M
en effet ce n'est pas la veste d'un guide, mais celle d'un gourou !
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L
S..... rédigéS
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L
Mais les grimpeurs ont besoin des topos....... rédigé par ceux qui ont déjà parcouru la voie ;o)........
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B
Ne me faites pas endosser une veste que je ne peux ni ne veux porter :-( ! J'ai maintenant juste un peu plus le temps d'écrire, c'est tout, mais contrairement à vous je n'agis plus beaucoup :-( ! (un guide est lui devant la cordée contre la falaise !)
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S
Merci Bernard ! Je sais que tu n'aimes pas les compliments, mais tu es vraiment un guide... Merci de mettre du sens, des mots, sur nos malaises, nos gênes... et ainsi nous permettre d'aller de l'avant, de nous mettre debout, tous les jours un peu plus !
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