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Le blog de Bernard Collot
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11 janvier 2022

1940-2021 (41) - 1960-1975 : Depuis 1830, la fête des classes en Beaujolais

fête des classes leprogres

 

 

 

 

 

La fête des classes

 

 

 

 

 

 

Le Beaujolais est bien issu de la Révolution jusque dans son immense fête : la fête des classes, celle des conscrits de tous âges d’un village.

La conscription est née lors de la Révolution pour défendre la nouvelle république face aux armées royalistes. Le jour de la conscription sous Napoléon, tous les 20 ans étaient amenés à tirer au sort : s’ils tiraient un mauvais numéro c’étaient sept ans à guerroyer à l’armée loin de chez eux[1]. Les bourgeois qui tiraient un mauvais numéro pouvaient le vendre à un plus pauvre qui partait à sa place. Ce jour donnait lieu à de grandes libations, soit pour arroser sa chance, soit pour en profiter une dernière fois. En 1880, un de ces bourgeois de Villefranche sur Saône avait été atteint d’une maladie incurable et à l’âge de 30 ans il eut l’idée avant de mourir de revivre une fois ce moment de jeunesse et invita tous ses amis et connaissances de 30 ans à faire une immense fête. La fête des classes était née. Elle s’est étendue à toutes les tranches d’âge, en 1940 c’étaient les « classes en 0 », en 1941 les « classes en 1 », en 1956 les « classes en 6 »… en 2021 encore les « classes en 1 ».

À Villefranche la matinée débute toujours par les déferlantes de chaque tranche d’âge bras-dessus bras dessous descendant la très longue avenue qui traverse toute la ville. C’est « la Vague »

fete de classes

Chaque année dans chaque village de la Calade, du Beaujolais et d’une partie du nord de Lyon, les 20, 30, 40, 50… ans organisent à leur tour la fête des classes. Elle dure de novembre à février parce qu’il faut que chaque village évite de la faire en même temps que les villages voisins… pour que les conscrits puissent s’inviter les uns les autres. Ce n’est que début des années 60 que les femmes y ont été invitées. La préparation était longue : deux ou trois semaines avant, les 30 ans allaient porter les cocardes aux conscrites et à ceux de 70, 80, 90 ans… qui n’allaient pas pouvoir se déplacer. Un petit verre de mâconnais au départ du bistrot du village et puis à chaque visite où ils étaient attendus c’était ici la liqueur qu’une vieille dame avait préparée, là un ou deux verres de mousseux, ailleurs les petits gâteaux… Impossible de refuser et de ne pas écouter tout ce qui ressurgissait à cette occasion. Impossible non plus de porter plus de trois ou quatre cocardes dans la journée sinon le retour devenait très délicat. Comme correspondant local du journal « Le Progrès » je les avais accompagnés plusieurs fois dans leurs périples.

fetedesclasses lantignié

La journée de la fête était aussi longue. Elle débutait par la photo devant le monument aux morts. Le temps d’attendre que tous les conscrits soient enfin là, d’aller chercher ceux qui étaient un peu précocement au bistrot, d’installer tout le monde sur les tréteaux, que le photographe voit toutes les têtes la sienne plongée sous le drap noir de la chambre photographique avant de déclencher l’appareil… Il y en avait bien pour une heure. Puis c’était le banquet digne d’Astérix dans la salle des fêtes et qui durait jusqu’au bal. Il était de bon ton que chaque conscrit ait des invités qui en retour l’inviteraient à leur propre fête. Il était prudent d’avoir un verre d’eau à côté du verre à vin si l’on voulait rester à peu près lucide jusqu’au bout. À mi-parcours des ripailles, il y avait le coup du milieu. Tout le monde s’arrêtait de bâfrer et les petits groupes se retrouvaient… dans la cave des uns ou des autres ou allaient respirer un bon coup.... pour revenir et recommencer à ripailler jusqu’au bal. Le lendemain des yeux avaient quelque mal à rester en face des trous.

fetedesclasses-lantigné

La plupart des conscrits de 20 ans était au service militaire et avait une permission pour ces quelques jours. Beaucoup d’entre eux ne s’arrêtaient pas au bal, leur fête se poursuivait les jours suivants, jusqu’à épuisement ou à le reprise du travail. Nous savions jusqu’à quand ils allaient résister : les derniers debout avaient l’habitude de marquer leurs fins de nuits en venant jouer du clairon devant le monument aux morts juste en face de l’école. Suivant l’heure et la sonorité du clairon nous avions une idée de leur état, lorsque nous n’étions plus réveillés, on savait que leur fête était finie. Ceux qui devaient rejoindre leur caserne prenaient le train à Belleville sur Saône. Il arrivait que les voyageurs voient un militaire ronflant sur une banquette avec sur le ventre une pancarte écrite par une âme serviable : « Conscrit retour de la  fête des classes, merci de le réveiller et de le faire descendre à Paris » !

Il y avait aussi les amicales des classes en 0, 1, 2… qui permettaient quand elles n’étaient pas à l’honneur de la journée de faire aussi un autre jour un repas de retrouvailles chaque année.

À cette époque il n’y avait pas les rappels à la télé « Un verre ça va, deux verres bonjour les dégâts ». Il fallait savoir lorsqu’on s’installait dans le Beaujolais qu’il faudrait élaborer des stratégies pour ne pas voir sa santé se détériorer rapidement. J’ai très vite compris les astuces à utiliser pour toujours rester lucide sans paraître bégueule. À noter qu’il n’y avait pas plus d’alcooliques chez les vignerons que dans la moyenne de la population : lorsqu’ils remplissaient et faisaient tourner la tassée dans leur cave, eux n’y portaient que la première fois les lèvres sans la remplir complètement, d’autre part le bon vin ne se boit pas, il se déguste !

Cette fête contribuait aussi à l’ambiance bon enfant et solidaire en même temps qu’un peu égalitaire des villages.

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Les photos qui illustrent cet épisode sont récentes et ont été empruntées au journal régional « Le Progrès ». À mon époque j’avais aussi été correspondant local de ce journal, mais je n’ai plus les photos en noir et blanc que je faisais lorsque je couvrais l’événement à Lantignié.


[1] 1905, fin du tirage au sort.

 Prochain épisode : les vendanges en Beaujolais épisodes précédents ou index de 1940-2021

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