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Le blog de Bernard Collot
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25 mars 2022

1940-2021 (70) – 1975 à 1995 Habiter

La maison

C’était donc une vieille maison très délabrée. Deux mois de vacances avant la rentrée pour rendre une pièce habitable.

maison

Porte en bois avec des fentes. Avant de pouvoir la changer, des vieux journaux avaient bouché efficacement les courants d’air pendant un an ou deux. Il y avait quand même l’électricité.  Mais le toit était percé et… il n’y avait pas l’eau courante et même pas d'eau du tout ! À l’époque il n’y avait pas la ruée pour rénover des maisons, qui plus est sans eau, ce qui explique que j’avais pu l'acheter pour presque rien[1].

L’urgent était bien sûr le toit à refaire… par quelqu’un qui n’y connaissait rien du tout et qui était très loin d’être un génie ou un passionné du bâtiment ou du bricolage et on a beau dire qu’il suffit de forger pour être forgeron cela demande quand même quelques capacités. J’avais fini par dégotter un vieux maçon à la veille de prendre sa retraite, le père Compaing. Son nom le reflétait, compaing : compagnon ! Je ne sais pas pourquoi il y a eu des atomes crochus entre ce vieil artisan à la manière d’autrefois et le barbu chevelu mais il accepta de venir refaire le toit en m’employant comme aide pour un prix insensé pour tout autre artisan. Dans le Poitou les toits étaient peu pentus et couverts en tuiles rondes faciles à poser lorsque les voliges étaient changées. Nous avons passé deux semaines sur le toit, moi à tout apprendre, tout deux à discuter, à philosopher. Il est devenu un ami et par la suite je suis allé souvent lui rendre visite quand retraité il s’ennuyait pour lui demander des conseils et continuer à philosopher.

Nous avions eu de la chance parce que c’était l’année de la grande sècheresse qui avait duré de janvier à septembre, donc pas une goutte d’eau qui aurait pu perturber les travaux. Pendant trois mois une tente nous servait de chambre. À propos de cette sècheresse, après les premières pluies de septembre il y a eu la plus extraordinaire levée de champignons que j’ai jamais pu voir, ceux-ci ont fait une bonne base de notre nourriture automnale.

L’autre gros problème était l’eau. Il y avait bien un vieux puits, mais sec l’été et avec de l’eau trouble l’hiver. Le réseau de distribution d’eau n’était pas encore arrivé jusqu’à nous et sa programmation n’était prévue que pour 1980 pour notre dernier hameau à desservir. Tous les autres foyers avaient pu faire creuser des puits modernes profonds équipés de pompes électriques et reliés aux installations des maisons, ceci complètement subventionné par la MSA et le Conseil général. Mais nous n’étions pas exploitants agricoles ! Et fallait-il encore être propriétaire d’un terrain où une veine d’eau puisse être trouvée pour creuser. J’avais bien fait venir un sourcier mais le seul endroit qu’il avait trouvé c’était… en plein milieu de la seule pièce habitable. Je comprenais pourquoi dans certaines régions on creusait d’abord un puits, puis la maison autour du puits.

Lorsqu’aujourd’hui on parle du problème de l’eau sur la planète, ça me parle ! Il a fallu que l’on se débrouille pendant deux ans, le maire communiste d’Adriers ayant accepté de modifier l’ordre des hameaux à desservir. Pour tous les usages courant les deux frères dont je vous ai parlé avaient un robinet sur la façade de leur maison à une centaine de mètres et m’avaient permis de l’utiliser. Tous les jours c’était donc avec la brouette le remplissage des bidons en plastique. Là, tu n’as plus de problème pour apprendre à économiser l’eau ! C’est d’ailleurs pour cela que je ne coupais plus ma barbe parce que te raser sans eau courante, bonjour l’opération ! Dans les westerns les cowboys vont de temps en temps chez le barbier et se plongent en caleçon dans la baignoire du saloon.

Le plus gros problème était la lessive. Tant qu’il y avait de l’eau dans le puits, même si elle n’était pas potable, pour le lavage on pouvait toujours faire bouillir une lessiveuse sur un réchaud à gaz butane en fonte. Mais le rinçage ce n’est pas facile.   Au village à 5 km il y avait un lavoir encore bien entretenu. Chargement du linge savonneux dans la vieille 2CV et quelques vieilles bonnes femmes ébahies voyaient un grand barbu rincer et tordre son linge aussi bien qu’elles, enfin presque ! Si ma mère m’avait vu, elle aurait bien rigolé mais il est vrai que son souvenir m’avait beaucoup aidé !  Cela n’a cependant duré qu’une année parce qu’à Moussac le plombier qui était parent d’élève m’avait ensuite aidé à installer une machine à laver dans le logement de fonction de l’école, inhabitable. Une ou deux fois par mois il me suffisait de charger dans la bagnole tout le sac de linge sale et je devenais le maître de la lessive complète. La machine à laver, lorsqu'on devra s'en passer pour mille raisons qui nous pendent au nez, ça va être dur !

Lorsque deux ans plus tard l’eau courante est enfin arrivée et le premier robinet installé à l’extérieur, cela a été la plus grande émotion de ma vie lorsque j’ai branché un tuyau d’arrosage et fait gicler un jet magnifique en arrosant tout le monde.  Le puits nous a quand même toujours été très utile… comme frigo l’été !

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Et les WC ? Dans l’herbe derrière la maison sous les pommiers ! Pas de problèmes, les souvenirs de l’enfance remontant, tu retrouves ce qui est naturel. Des problèmes, cela en avait posé à deux institutrices du mouvement Freinet qui étaient venues cette première année me voir pour me poser des questions à propos de pédagogie et que j’avais hébergées dans le grenier. Elles sont restées constipées pendant tout leur séjour, je ne sais pas si c’est pour cela que je ne les ai jamais revues.

Mais par temps de pluie ou l’hiver, déféquer en plein air ce n’est pas du tout agréable. J’avais donc fini par installer au fond du jardin une cabane mais pas au-dessus d’un trou à vider comme au temps de mon enfance : le progrès aidant, j’avais acheté et installé des toilettes sèches, c’était le grand confort.

 

Rassurez-vous, au fur et à mesure des années la maison s’est peu à peu notablement améliorée jusqu’à avoir une petite cuisine, deux chambres dans le grenier, de vrais WC et une douche à l’intérieur. J’y avais été bien aidé par l’électricien-plombier, l’entrepreneur de maçonnerie et le menuisier de Moussac, les deux premiers étaient parents d’élèves de l'école et bien les seuls à savoir comment je vivais, et aussi par deux ou trois jeunes collègues bricoleurs sachant tout faire. M’ont beaucoup aidé aussi les ouvrages qui avaient fleuri après 68 et dont je vous ai déjà parlé, comme le « Savoir revivre » de Jacques Massacrier grâce auquel j’avais réalisé notre premier lit avec des palettes de bois ou les « Catalogues des ressources ». Si bien que j’ai fini ma période poitevine dans une maison à peu près normale.

Avec du recul je suis toujours étonné d’avoir pu faire tout cela avec un revenu environ au smic, changer deux fois de voiture, jusqu’à acheter un motoculteur. Comme quoi lorsqu’on réduit la consommation au minimum en se contentant de l’essentiel on est quasiment riche. Il est vrai que nous étions quand même toujours des privilégiés : environnement le permettant et salaire fixe même s’il était rogné.

Au fait, un enfant était né en novembre, pas à la maison mais dans une maternité de Poitiers où il y avait un gynéco adepte de « la naissance sans violence » de Frédéric Leboyer. Encore un effet de 68.  Puis un autre trois ans plus tard. Sans problème non plus. C'est incroyable comme tout peut être simple.

Prochain épisode : se nourrir  -  épisodes précédents ou index de 1940-2021

 Le massacrier

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[1] Il y avait des couples très bricoleurs qui achetaient aussi une très vieille maison, la retapaient en une année tout en y vivant, puis la revendaient un très bon prix, en rachetaient une autre en recommençant l’opération. Au bout de la troisième ou quatrième année, ils y restaient ! Ils avaient acquis de quoi vivre tranquillement… en écolos !

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