Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
13 décembre 2022

1940-2021 (167) - 2014-2018 : dernière étape scolaire, le lycée

lycée2

 2 014-2 015, direction internat, lycée Jean Moulin de Bourges.

Là, il n’y a plus eu de problèmes avec les profs. Il faut dire qu’alors les enseignants n’ont plus affaire à des enfants ou des adolescents, mais à déjà de jeunes adultes ou en train de le devenir. Les rapports ne peuvent plus être les mêmes. Certes il y avait toujours « travail non fait », « absences ou retard injustifiés », mais cela n’importunait pas particulièrement les profs en dehors du fait qu’ils devaient le signaler, les conséquences étant le seul problème de Martin. En terminale, il est d’ailleurs très peu allé en cours, il préférait se réfugier au CDI pour bouquiner et discuter avec la documentaliste et celles et ceux de passage. Il a toutefois été marqué par les profes de philo et de littérature qui ont été pour beaucoup par la suite pour sa soif de lectures et d’écriture. Enfin des profes avec lesquelles il pouvait discuter. Les mathématiques n’étant plus la matière phare pour ne plus être même au programme du bac littéraire (il parait que cela va changer), cela pouvait être très cool pour lui. L’autre matière qui l’intéressait était l’histoire de l’art. Tout cela le mettait facilement dans la catégorie des « branleurs ».

L’internat : lui et trois de ses copains du collège s’étaient débrouillés pour occuper la même chambre.  Évidemment cette chambrée est vite devenue le point de mire de l’internat… à surveiller !

C’est au lycée qu’il a découvert le rap. Situé dans une des deux cités populaires de Bourges, le rap y était la culture des jeunes, celle qui permet à la fois de s’exprimer, mais aussi de se reconnaître. Très vite il s’est mêlé aux rappeurs dans les battles qu’ils faisaient, c’est aussi cela qui a fait ensuite sa vocation d’écrivain, poète, chanteur, troubadour. 

La vie était belle !

Mais dès la première année, nouvel événement… et en avant pour son

Second conseil de discipline

lycée

Le lycée étant inclus dans une des deux cités populaires de Bourges, son meilleur copain habitait dans cette cité à deux pas du lycée et Martin y allait souvent. C’était une bonne chose pour quelqu’un qui n’avait toujours été qu’un campagnard de connaître d’autres milieux sociaux tout aussi intéressants, mais avec d’autres comportements, d'autres habitus.

Du coup, hors de l’enceinte du lycée il était facile d’avoir et de fumer de « l’herbe ». Ah, les pétards ! Martin avait commencé à fumer dès la quatrième au collège. Il s’imaginait que sa mère et moi ne le savions pas. La dernière année au collège il lui arrivait souvent, lorsqu’il pensait que nous dormions, de prendre son vélo et d’aller en pleine nuit rejoindre deux ou trois autres dans les rues de Sancerre faire la « fiesta » avec eux, n’imaginant pas que mon sommeil léger détectait ses allées et venues nocturnes. En somme il faisait sa crise d’adolescence beaucoup plus tôt que nous ne l’avions fait.  Nathalie qui elle aussi avait beaucoup fumé quand elle était jeune pouvait renifler le cannabis à 100 pas. C’était elle la plus inquiète et en connaissance de cause. Quant à moi je n’étais pas trop tranquille, mais bon, si à mon époque au lieu du cannabis c’était avec de la bière, parfois du rhum Négrita pas cher, ce qui n’était vraiment pas mieux, j’avais fait à peu près la même chose. Il faut que cela passe, et pour Martin cela a passé très vite. Je ne sais pas si cela a été nous ou Épicure et les philosophes qu’il lisait qui y ont été pour quelque chose, mais au lycée le plus gros de la crise était passé, s’éclater avec la fumée ou se « bourrer la gueule » n’était plus son truc. Il n’empêche que de temps en temps…

Les lycéens ne sont pas fous, aucun ne s’amusait à fumer dans l’enceinte du lycée sachant bien qu’il serait immédiatement repéré. Mais, c’était presque une tradition, lors des pauses ou de la fin des cours, beaucoup, dont Martin, sortaient devant le lycée, faire tourner un joint et discuter. Le fumeur (de tabac !) que je suis sait cette espèce de rôle social de la cigarette comme facilitateur pour amorcer une discussion : « Tu n’aurais pas du feu ? » ou « Tu n’aurais pas une clope ? ». Un prétexte facile pour faire connaissance ou se sentir avec les autres. Et puis plus c’est interdit, plus on a envie voire besoin de transgresser, ceci depuis la nuit des temps et il est incroyable que notre société moralisatrice ne l’ait toujours pas compris. Toujours est-il que Martin de temps en temps tirait sur un joint ou en roulait un comme les autres.

Un soir, tout était tranquille dans les chambres, le sommeil ayant gagné la plupart. Martin ne pouvant dormir se mit à rouler un joint pour s’occuper et pour l’avoir tout prêt à l’offrir à son tour à la prochaine sortie. C’est souvent la tranquillité qui éveille des soupçons. Bizarre que cette chambre réputée pour être agitée soit si silencieuse. Un surveillant, que tous croyaient sympathique, rentra donc dans la chambrée, peut-être simplement (mais pas certainement !) pour voir pourquoi il y avait encore une lumière. Il vit donc Martin sur son lit occupé à rouler son pétard.

-  Qu’est-ce que tu fais ?

- Rien de spécial.

Le surveillant s’approche, ouvre le tiroir.

- Tu n’as que ça ?

- Oui.

- Bon et bien je te le prends.

- N’en parle pas s’t’plait.

- On verra.

Incident apparemment clos. Surprise le lendemain : convocation dans le bureau du proviseur.

- Tu as été surpris à posséder de la drogue, tu as reconnu les faits. Cela ne va pas se passer comme cela. J’informe tes parents que tu passeras dans quelques jours en conseil de discipline.

C’était un proviseur venant d’être nommé. Dans cette période où le problème de la drogue faisait la une des médias, il tenait à ce que SON lycée, semblable à ceux des cités parisiennes, soit un modèle de respectabilité. Nous voilà donc convoqués le surlendemain à son bureau, moi et Martin. Il nous a d’emblée et sans fioritures annoncé la couleur :

- Ce qu’a fait Martin est gravissime. Il entache tout le lycée. Le conseil de discipline prononcera son exclusion définitive pour « détention de drogue » et remerciez-moi de ne pas le signaler à la police comme je suis tenu de le faire. Avez-vous quelque chose à dire ?

Non, nous n’avions rien à dire sauf :

- Merci de nous avoir informés. Au revoir.

En deux minutes le sort de Martin était fixé… par le proviseur ! Nous avions bien compris qu’il lui fallait, dès sa première année de prise de fonction, un exemple percutant qui soit un avertissement pour tous les autres lycéens. Le motif inscrit sur le papier officiel qu’il nous avait remis était « détention de produits stupéfiants » sans préciser que ce n’était que de quoi rouler un joint. Aucun doute, cela allait impressionner le conseil.

En sortant, nous sommes allés sur la terrasse du premier bistrot proche du lycée pour débriefer tranquillement et froidement la situation. Il y avait un point favorable : Martin savait comment se déroulait un conseil de discipline, toutes les expériences mauvaises ou bonnes sont utiles. De toute façon, n’ayant pas encore 16 ans, dans tous les cas l’académie devait lui trouver une place dans un autre lycée avec internat. La question était donc seulement celle-ci :

- Est-ce que tu tiens à rester dans ce lycée ? Il y en a d’autres à Bourges, peut-être beaucoup plus intéressants.

Martin qui avait bien pris ses marques dans l’établissement n’avait pas envie d’avoir à recommencer ailleurs. Donc :

 - Dans ce cas on va voir comment on pourrait obtenir le sursis.

Nous avons pu sans nous tromper prévoir quelles allaient être les réactions et les attitudes de chaque membre du conseil, en particulier celles des délégués de parents. C’était donc le « profil bas » qu’il fallait adopter. Pour Martin c’était simple : lorsqu’on allait lui donner la parole en dernier, il fallait qu’il dise une seule chose en essayant de ne pas faire semblant de larmoyer, ce qui aurait été peu crédible : « Je sais que c’est grave et je regrette vraiment de m’être laissé aller à cela. Mais j’aimerais vraiment rester dans ce lycée où je me plais beaucoup. », point barre. Ce qu’il a parfaitement réussi. Pour moi ce fut beaucoup plus difficile et aujourd’hui encore je me souviens parfaitement du personnage que j’ai dû endosser. Comme pour le conseil de discipline précédent, je m’étais inscrit à la fois comme père et défenseur.

C’est bien sûr le proviseur qui fut constamment le plus virulent comme si Martin avait mis le feu à SON établissement, tout au moins il fallait que tout le monde le crût. Il est probable qu’il pensait aussi que comme d’habitude le troupeau allait docilement suivre. Les représentants des profs et du personnel, dans l’ensemble plutôt embarrassés, n’avaient rien à dire sur le fait lui-même, à la limite qui n’avait pas de quoi être commenté et qui ne les concernait pas, et rien de spécial à dire sur le comportement de Martin dans le lycée. Les délégués des élèves ne pouvaient que répéter que c’était un bon camarade, très pacifique qui ne causait jamais de désagréments à personne. Je m’y attendais, ce furent les délégués des parents d’élèves qui furent les méchants moralisateurs. J’avais bien potassé à l’avance comment j’allais leur répondre sur les difficultés que j’avais comme beaucoup de parents, mais peut-être pas eux, « à bien élever un enfant » lorsque devenu adolescent il est dans un monde qui nous échappe. Toujours passer d’un cas particulier à un cas général pour atténuer le premier. Quant à ma conclusion de défenseur, puisque Martin avait reconnu et regretté les faits, il n’était peut-être pas très éducatif qu’on l’exclue au lieu de lui donner une chance de prouver qu’il avait compris et pouvait changer. De temps en temps il peut être utile d’utiliser les termes que tout le monde ne cesse de brandir.

Lorsque nous sommes sortis pour attendre que la délibération aboutisse à un verdict, nous avions été accompagnés par un prof sincèrement désolé de ce qu’il pensait joué d’avance. Il était d’accord avec tout ce que j’avais dit… mais s’était prudemment tu. La délibération a duré bien plus longtemps que le conseil. Le proviseur s’est bien gardé de nous informer lui-même comme il aurait dû le faire du résultat des débats, parce qu’il y avait bien eu débat. Ce fut la CPE qui nous l’annonça elle-même : « Exclusion définitive de 365 jours, dont 357 avec sursis ». Cette fois les profs du conseil n’étaient pas restés docilement inertes. Nous avons réussi à ne pas éclater de rire avec Martin, mais qu’elle a été bonne la bière que je lui ai offerte sur la même terrasse où nous avions préparé l’affaire.

Détail croustillant : une ou deux semaines plus tard, Martin et deux ou trois autres lycéens surprirent le même surveillant qui avait été le dénonciateur en train de pénétrer dans une chambre et de fouiller dans le casier d’un interne. Un copain de Martin ne l’a pas loupé : « Si tu ne veux pas que l’on te dénonce comme toi l’as si bien fait, alors dorénavant tu nous fiches une paix royale dans l’internat ! » La victime n’est pas devenue un bourreau, mais ce surveillant s’est ensuite quasiment comporté comme s’il avait été le meilleur copain de la bande, allant jusqu’à aller fumer avec eux… dans leur chambre ! Qu’est-ce qui peut bien se passer dans la tête des délateurs y compris ceux des périodes les plus sombres de l’histoire ?

Cet événement a vraiment été bénéfique pour le fils et le père. De la relation père/adolescent, nous sommes passés à celle de deux adultes vivant ensemble comme des amis intimes. Merci la bêtise du système scolaire !

 Prochain épisode : Le bac ! épisodes précédents  - épisodes sur l'école

Commentaires