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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
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4 janvier 2023

1940-2021 (176) 1998... Ni dieux, ni maîtres

 

meirieuy2

Si nous n’avions pas réussi à répandre l’idée que les classes uniques, autrement dit les petites structures hétérogènes scolaires, représentaient l’avenir de l’école du XXIème siècle, par contre nous avions suffisamment intrigué pour que pendant encore quelque temps on s’intéresse un peu à ce qui apparaissait comme une nouvelle pédagogie. Et puis la machinerie tayloriste du système éducatif butait de plus en plus sur l’impossibilité d’obtenir l’homogénéité des élèves de ses classes absolument nécessaire pour le fonctionnement de la chaîne industrielle scolaire. Or, nous les classes uniques nous barbotions dans l’hétérogénéité.

Pendant quelque temps j’ai ainsi été sollicité sur le thème « comment gérer l’hétérogénéité ? » jusqu’à ce que l’on soit lassé de mes réponses : « l’hétérogénéité ? Je ne la gère pas, je lui permets juste d’être ce qui éduque ! ». Il n’empêche que pendant un an ou deux j’étais un peu considéré comme un des « experts », très éphémère, de ladite hétérogénéité. C’est très curieux : tu deviens « expert » lorsque tu n’as plus à te coltiner à ce que l’on t’attribue, lorsque tes propos ne sont plus étayés par ce que tu viens de vivre la veille et que tu n’auras plus à te confronter à tes propres propos le lendemain. Les experts ne sont jamais ceux qui font ce qu’ils disent ou seulement lorsque ce qu’ils ont éventuellement fait est fort lointain.

J’ai raconté comment j’avais un peu piégé Philippe Meirieu sur une petite phrase qu’il avait prononcée pour le faire venir au colloque de Crozon. Pendant près d’un demi-siècle Meirieu a été en quelque sorte le pape de tous les enseignants progressistes de l’école publique. Certes il avait débuté comme professeur de collège (mais pas comme instituteur) ce qui lui permettait de se proclamer « collègue », mais très vite cela avait été une brillante carrière d’universitaire et d’homme politique.

Il est vrai qu’il a beaucoup contribué à faire connaître les grands pédagogues, qu’il écrit très bien, est un brillant orateur, fait de véritables shows médiatiques. Ses joutes avec son adversaire-complice, Alain Finkielkraut, ont fait les délices des plateaux télé. Bref, dans la lutte qui durait depuis des décennies entre les partisans d’une autre école et les traditionalistes, Meirieu apparaissait comme le chef de file de ce que les autres appelaient les « pédagogogos ». 

Pour quelle raison, nous qui prétendons avoir vaincu le cléricalisme, avons-nous toujours besoin d’avoir des prédicateurs à écouter religieusement, jusqu’à les fabriquer… et les faire vivre ? Je demandais souvent à de jeunes collègues revenant enthousiastes d’une conférence de Meirieu : « Et demain, tu fais quoi dans ta classe ? ». Il est évidemment impossible dans les milieux progressistes d’émettre la moindre critique vis-à-vis de ces gourous de salon ; quant à les contester ou à émettre des divergences publiquement, il ne faut même pas y songer.

Freinet a bien lui aussi été transformé en gourou, même s’il y a quand même un peu mis du sien. Nous étions très peu parmi les vieux à savoir comment s’était élaboré ce qui était appelé la pédagogie Freinet comme si celui-ci en avait été le seul auteur. Maurice Berteloot qui avait pris sa succession à l’école Freinet de Vence décrivait ainsi le mouvement Freinet : une pyramide à l’envers, Freinet étant à la pointe, en bas, récupérant et synthétisant tout ce qui se passait et se faisait dans les couches supérieures. Seul Henri Portier, prof d’histoire et surtout infatigable archiviste, avait essayé de remettre les pendules à l’heure, sans vraiment y avoir réussi. Toujours est-il que mon aversion à toute sorte de dieux ou de maîtres avait fait que je n’avais jamais mis les pieds dans un congrès Freinet tant qu’il était vivant[1]

Pour revenir à Meirieu cela avait cependant été sans vergogne que je l’avais fait venir au colloque de Crozon : pendant les périodes Mitterrand et Jospin, il avait une certaine influence dans les milieux politiques, l’important était pour nous que son nom soit mêlé à la défense des petites écoles !

Par la suite, directeur de l’IUFM de Lyon qui venait de remplacer l’école normale d’instituteurs, il avait demandé à l’expert que j’étais censé être devenu de venir passer un après-midi avec les étudiants pour parler des pratiques de l’hétérogénéité. J’étais flatté de revenir dans ces lieux où je n’avais été qu’un jean-foutre et avais donc fait le voyage. Je me pointai à l’heure indiquée à l’IUFM, on me fit attendre dans le hall d’accueil, et j’attendis. J’attendis ! Au bout d’une heure, je finis par voir arriver une secrétaire :

- Philippe Meirieu a annulé votre séance. Passez au secrétariat pour vous faire rembourser le déplacement.

Au cas où j’aurais oublié que je n’étais pas grand-chose !

meirieu

Et puis il y a eu une autre séance avec lui à Lyon. Cette fois, cela avait été la télé lyonnaise, Cap Canal, qui m’avait invité à participer à une émission. Cette chaîne, parrainée par Philippe Meirieu, abordait chaque semaine un sujet concernant l’école. Le problème de l’hétérogénéité des classes restait le problème majeur du système éducatif. Comment en tenir compte ? Une école lyonnaise avait tenté l’expérience en permettant aux enfants de suivre telle ou telle matière suivant le niveau où chacun en était. L’émission à laquelle j’avais été invité devait rendre compte de cette expérience, le spécialiste des classes uniques devant être là pour approuver les bienfaits de l’hétérogénéité. Sur le plateau il devait y avoir Philippe Meirieu, l’inspecteur de la circonscription où était l’école… et moi. Personne de l’école elle-même.

En arrivant à l’avance dans les studios, j’avais été abordé par une dame :

- Bernard, tu ne te souviens certainement pas, mais j’ai fait un stage de quinze jours dans ton école de Lantignié, il y a… une quarantaine d’années !  Après ce passage, j’ai été dégoûtée de ne pas pouvoir faire dans les écoles où je suis passée ce que j’avais vu dans ta classe et j’ai démissionné pour travailler à Cap Canal ! C’est moi qui ai insisté pour que tu participes à cette émission. Tu vas voir, ça va bien se passer.

Avoir une alliée dans la place, ça décontracte !

Sur le plateau il y avait bien une animatrice, mais manifestement c’était Meirieu qui menait la danse. L’enregistrement était du semi-direct c’est-à-dire qu’à sa diffusion on pouvait penser que c’était du direct.

Je n’avais pas grand-chose à dire, ce d’autant que l’expérience que je découvrais et qu’il fallait mettre en valeur était pour moi une sorte « d’usine à gaz » où dans la journée on déplaçait les enfants, un peu comme des pions, suivant leur niveau dans chaque matière dans des groupes différents : un coup avec ceux du niveau du CM1 en math, l’heure suivante avec ceux du niveau de CM2 en français. Je n’aurais pu que démontrer l’absurdité du taylorisme scolaire, donc démolir ce qui devait au contraire être montré comme exemplaire. La seule vraie expérience de prise en compte de l’hétérogénéité dans une école urbaine avait été celle de Sylvain Connac à Montpellier qui avait fait dans l’école qu’il dirigeait autant de classes uniques qu’il y avait de classes.

Je ne disais donc pas grand-chose sauf que je n’ai pu m’empêcher d’intervenir lorsque Meirieu a parlé des programmes. J’ai tenté d’expliquer que justement les problèmes de l’hétérogénéité étaient les programmes dont, a contrario, ladite hétérogénéité permettait de se passer et dont on se passait dans nos classes uniques. Que n’avais-je pas dit ! Je croyais que j’avais été invité pour apporter quelque chose à ce qui devait s’apparenter à une discussion. Le Philippe Meirieu est immédiatement monté sur ses grands chevaux en perdant quelque peu sa posture de sage tolérant, traitant d’irresponsables tous ceux qui, voulant se passer de programmes nationaux, mettent en danger l’égalité républicaine voire la République elle-même ! Comme j’aime bien pousser mes vis-à-vis dans leurs retranchements, ce qui me semble être nécessaire pour approfondir un sujet, au lieu de m’écraser diplomatiquement je me permis de le provoquer un peu :

- D’après ce que vous dites, ce sont les programmes qui permettent que l’école fonctionne comme une chaîne industrielle où tous les objets sont façonnés de la même façon. Cette chaîne industrielle ne vous choque pas ?

Cette fois l’animatrice, sentant que cela allait faire péter les plombs à Meirieu et que l'émission risquait de tourner au vinaigre reprit la main et prudemment fit passer tout le monde à un autre sujet.

Clap de fin. Je n’avais pas l’impression d’avoir dénaturé l’émission sinon d’y avoir mis un peu d’animation. Meirieu était parti avec son inspecteur sans prendre la peine de venir me saluer. C’est alors que la dame qui m’avait accueilli vint me voir :

- Bernard, tu ne nous en voudras pas, mais nous allons couper le passage sur les programmes. Tu comprends, Philippe Meirieu est le principal actionnaire de la chaîne.

Ces anecdotes n’auraient pas grand intérêt si elles ne montraient pas à quel point dans notre société on ne conteste pas ceux qui se pensent des maîtres ou que l’on s’est donnés pour maîtres. L’actualité politique ne cesse d’en donner continuellement la preuve, même dans les partis qui se pensent révolutionnaires comme par exemple dans la toute récente « France insoumise ». Mais dans l’école dite républicaine et de tout temps est-il possible à un élève de contester ou simplement remettre en question la parole d’un prof autrefois appelé « maître d’école » ? Dès l’enfance et l’adolescence l’école nous a bien formatés à accepter des maîtres, voire à vouloir des maîtres.

Autrefois ceux qu’on appelait « maîtres », que ce soit dans l’art ou dans l’artisanat, n’étaient pas ceux qui donnaient des leçons, expliquaient ce que les autres devaient faire, mais ceux qui ayant acquis la maîtrise de ce qu’ils faisaient avaient de nombreuses personnes qui désiraient et venaient « travailler » avec eux. Léonardo da Vinci, Michelangelo, étaient des maîtres tout comme les maîtres compagnons. Après avoir travaillé avec un maître, s’être coltiné avec lui aussi bien à la matière qu’au vivant, chacun pouvait devenir maître à son tour tout en étant différent.

Bien sûr Meirieu a été celui qui parmi tous ceux qui ont pignon sur rue médiatique a défendu des pédagogies plus respectueuses de l’humain, aurait même eu pendant une période politique le pouvoir de faire changer un peu l’école. Mais ceci sans surtout remettre en cause toute l’architecture scolaire, sans toucher les hiérarchies qui s’y sont établies, sans toucher à ce qui est devenu courant d’appeler « le système ». Cela s’explique puisque c’est dans ce système que tous ces donneurs de leçon détiennent une position. Cela m’a toujours amusé quand ceux qui prônent l’égalité sont toujours sur une estrade en étant les seuls à détenir un micro.

Pour Meirieu, hors de l’école publique, point de salut. Il est vrai que le mythe de l’école publique a la vie dure : école que l’on se refuse à appeler l’école de l’État, ce qu’elle est, école qui serait égalitaire, émancipatrice. Même les militants des mouvements pédagogiques qui depuis plus d’un siècle n’ont pas réussi à la faire changer y croient toujours et je suis toujours stupéfait quand ils dénigrent les alternatives comme allant contre l’intérêt du « peuple ». L’exemple des programmes de mon anecdote est significatif. Même s’ils proclament que l’école étouffe les enfants, seuls ceux qui sont dans les hautes strates de la hiérarchie intellectuelle savent ce qu’il faut leur faire ingurgiter, leur inculquer, comment le leur inculquer et que ce soit la même chose pour tous. L’égalité n’est que celle d’un formatage que l’on appelle alors éducation. L’enfant reste encore un objet qui doit devenir ce que l’on pense qu’il doit devenir de par la machinerie scolaire. 

Je ne mets aucunement en doute la sincérité de ces nouveaux maîtres à penser, mais pas tellement des maîtres qui aideraient à "faire". Un Alain Finkielkraut comme un Philippe Meirieu sont convaincus qu’ils détiennent la voie que doit suivre l’école et comme les prêtres du haut de leurs perchoirs délivrent leurs sermons à leurs adeptes.

Bien sûr, nombreux ont été ceux qui m’ont inspiré ou aidé par leurs écrits, par ce qu’ils disaient, mais pour tous c’était de ce qu’ils avaient vécu, faisaient ou avaient fait qu’émanait leur réflexion. D’un Yvan Illich à un Albert Jacquard. J’ai raconté combien j’avais été marqué par la visite que j’avais faite dans la classe unique perdue dans les Monts du Lyonnais d’un petit instituteur bossu, Georges Laubezout, et il y en a eu beaucoup d’autres, pas forcément des enseignants d’ailleurs. Cela a d’ailleurs été la force du mouvement Freinet où une autre façon d’envisager l’école s’est élaborée dans le foisonnement des croisements d’expériences et pas dans l’application d’un catéchisme édicté par un gourou.

Ni dieux, ni maîtres ? Pas facile quand de plus en plus de personnes attendent des dieux ou des maîtres pour les sauver ou leur dire le bien et le mal. Pas facile si l’on n’est pas viscéralement un mécréant !


[1] Dans toutes les revues du mouvement, dans les CR des congrès, je n’avais pratiquement rien lu de ce que Freinet faisait lui-même dans SON école de Vence. Cela n’empêche pas que je reconnais à Freinet son immense apport dans la création du mouvement qui porte son nom, dans la synergie qu’il y a permis, dans la synthétisation des essais, expériences qui s’y passaient, dans la transcription  et la popularisation des idées qui s’en dégageaient… Bref, ce n’est pas parce qu’une face d’un personnage me déplaisait un peu que je dénigre ledit personnage.

Prochain épisode : écriture et éditions et Alain Bertoz. épisodes précédents

Commentaires
M
Merci Mr Collot.<br /> <br /> Vos réflexions éclairent encore ,aujourd 'hui avec bonheur l'institutrice que j 'ai essayé d 'être.<br /> <br /> A faire lire à tous les entrants dans le métier.
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