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Le blog de Bernard Collot
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19 décembre 2015

« Ça parlait d’une dame qui avait tapé son fils » ... « C’est triste la vie »

IME-laurent

L’écrit libérateur

Quand on a été percuté, on a besoin de répercuter

Dans un précédent billet Laurent Lançon expliquait comment avec des adolescents catalogués en grande difficulté les portes pouvaient s’ouvrir par l’intermédiaire de l’écrit « Je n’ose pas vous le dire » écrivait une jeune fille à sa profe. Les dites difficultés sont presque toutes les blocages que leur vie a créé, les enfermements dans lesquels ils ont dû se réfugier. Le problème n’est pas de leur apprendre ce qu’on pense qu’ils auraient dû apprendre, à écrire dans ce cas, mais de les aider à s’emparer de tout ce qui libère, écrire dans un journal entre autre. Oui, l’écrit est libérateur, est révélateur, nous sommes quelques-uns à savoir depuis longtemps que l’école pourrait être « réparatrice de destins » comme l’écrivait Paul le Bohec.

Ci-dessous un article du dernier journal de l’IME « La Savoie » et surtout la réaction de M, puis des extraits un texte de Paul Le Bohec que Laurent Lançon propose en commentaire. BC

Mercredi 25 novembre, on est parti à Bourg au tribunal. On a mangé à 11h30 sur le groupe. Ensuite, on est parti avec l’expert blanc. On était 8 dans le véhicule avec Grégoire. On est arrivé à 13h10 dans le tribunal. On s’est assis et on a écouté le procès. Ça parlait d’une dame qui avait tapé son fils. On est sorti. Il était 15h00. Ensuite on est allé dans magasin de jeux vidéo. Après on est rentré à l’appartement. On a pris nos douches. On a mangé et on est allé se coucher.

Ce n’est pas bien de taper son enfant. Ca s’appelle de la violence sur mineur. On n’a pas le droit même si il sort dans la rue. Les lois françaises, elles protègent les mineurs.

C. et N.

Réaction de M. par l’intermédiaire des commentaires

Par exemple, ma mère elle me frappait fort à la maison.

C’est logique car moi à l’i.m.e, je faisais des bêtises. C’est normal dans une famille de punir les enfants, logique. C’est comme ça la vie.

Mais on n’a pas le droit de frapper les enfants. C’est bien fait pour les parents qu’on aille au tribunal ou à la juge. C’est normal.

Moi, heureusement, je suis dans un foyer.

Heureusement que la prison, les juges et le tribunal existent car si ça n’existait pas les parents continueraient de nous frapper.

Si il n’y avait pas de droits et de lois sur la Terre, elle ne marcherait pas bien et ça serait compliqué pour les adultes et les enfants pour vivre.

Et oui, c’est triste la vie.

Texte de Paul Le Bohec proposé par  Laurent Lançon

La lecture n'est pas de première importance.

Emmanuel Kant disait qu'il fallait que les enfants apprennent à penser. Mais aujourd'hui qui s'en soucie ? Il n'en est jamais question dans les débats. Et, pourtant, ce serait un tel progrès pour tous.

Alors, pourquoi apprendre à lire si c'est seulement pour accéder à la pensée d'autrui ? Ce n'est pas qu'elle soit inintéressante. En fait, elle est même d'une richesse extraordinaire. Mais comment chacun pourrait-il la raccorder à sa propre expérience ?

Voici ce qu'en dit Bachelard: "L'être vivant se perfectionne dans la mesure où il pense relier son point de vie fait d'un instant et d'un centre à des durées et des espaces plus grands."

L'écriture est justement un moyen intéressant d'agrandir le cercle de ses repères personnels. C'est quand on commence à écrire que l'on commence à penser. (Ricardou). La linéarité de l'écriture oblige à mettre de l'ordre dans ses mots avant de les poser sur le papier. Mais que pourrait-on écrire ? C'est le fond qui manque le moins. Incontestablement, les événements de la vie impriment leur marque sur l'être humain et il éprouve l'impérieuse nécessité de les exprimer. Quand on a été percuté, on a besoin de répercuter. Comme le disait l'écrivain et boxeur Jean Prévost: "Seuls font mal les coups que l'on ne peut pas rendre." Seul pertube ce qui n'a pu être dit.

Donc, l'être humain a besoin de s'exprimer et il dispose de l'écriture. Mais un autre fait le caractérise : lorsqu'on réfléchit à ce qu'il cherche, le premier verbe qui vient à l'esprit, c'est, évidemment, survivre. Mais, aussitôt après, vient exister, c'est-à-dire être reconnu, compter pour quelqu'un. Est-ce qu'à la source de la violence actuelle, il n'y a pas le fait que des quantités de gens ne sont pas pris en considération, même pas par eux-mêmes ? Alors, ils cherchent à manifester leur existence d'une façon ou d'une autre. Et, s'il le faut, ils profaneront des tombes pour connaître l'incomparable bonheur de passer à la télé.

Comment, dans une classe, vingt-cinq élèves peuvent-ils s'exprimer en même temps ? La méthode est simple : ils écrivent chaque jour un texte. Lorsque le maître procède à la lecture des productions de la classe, chacun a le sentiment d'exister à ce moment-là, car il s'agit bien de ce qu'il a dit, lui. Ainsi, il a pu être entendu.(…). Alors, il se sent encore plus pleinement vivre : c'est incroyable, il n'en revient pas de pouvoir être, lui aussi, au centre, à son tour, et de pouvoir compter à ce point. (…)

(…) "Mes abeilles sont mortes. J'ai du chagrin parce que j'aimais bien le miel." Marcel P. (6 ans)

(…) "Une dame a dit: "Bonjour, ma fille" à ma petite soeur de deux ans. Elle a répondu: "Bonjour, ma femme". Roland L'H. (7 ans)

" La vie est un grand rêve. Quand on meurt, on se réveille. On marchait peut-être sur la tête. La main gauche était la main droite. On était encore dans le chou. Et quand on plantait des fleurs, on plantait son rêve ou son âme." Michel R. (8 ans).

"Tout est calme. Le matin, la rivière coule en clapotant. Les oiseaux piaillent parce qu'ils ont passé une bonne nuit. Et moi, je suis dans la forêt à écouter, à sentir, à voir l'odeur du matin qui est encore froide à respirer. Mais il n'est pas trop tard pour assister à l'ouverture des fleurs et à la caresse de l'herbe sur mes bottes sèches. Je ne vois rien car la brume est trop épaisse, mais j'entends le cri des arbres qui me disent bonjour." Monique L. (CM1)

(…)

Il s'ouvre également aux autres et il entre dans le : "Connais-toi toi-même jusque dans les autres et connais des autres ce qui n'est pas toi." Ce sont des pairs. Il est à l'aise devant eux, il peut tout leur dire de ce qu'il pense, de ce qu'il éprouve, de ce qu'il a besoin de crier :

"Mort, tu cours dans les champs / Tu te faufiles dans les trous de grillon pour après t'enfuir dans les carrières de granit où les pierres entaillent / Tu te jettes sur les routes caillouteuses / Et tu bondis dans l'ajonc qui t'accueille dans ses épines meurtrières / Et tu cries comme un enfant sans sa mère / Comme si c'était la fin. / Mais tu reprends vie / Et tu recommences comme la poussière qui se recolle à l'homme / Comme les griffes d'un félin dans la peau d'un animal vaincu / Comme une aiguille dans des haillons pourris." Yvon L..(CM2)

Chacun, évidemment, veut agrandir le cercle de ses curiosités, chercher des réponses ou des prolongement à sa pensée, "relier ses points de vie à des durées et à des espaces plus grands". Alors, peut naître une passion durable pour la lecture : il y a tellement à prendre et à apprendre chez les autres. Et il se pourra même qu'un jour, on puisse rencontrer dans un livre cet autre soi-même, cet écho de soi auquel on aspirait sans le savoir et qu'on désespérait de rencontrer. Mais ce sera l'écriture qui aura préalablement permis de créer en chacun le centre qui permet de tout recevoir, de tout accueillir.

(…) Ajoutons une dernier élément, essentiel. Les enfants se servent souvent de l'outil-écriture pour travailler au rééquilibrage de leur personnalité à travers une production symbolique dont personne ne peut repérer la source, et même pas eux-mêmes.

"Les oliviers sont beaux en toute saison. Les oliviers donnent des olives. Un jour, un olivier donna des cerises et il devint tout rouge. Les gens disaient qu'il était malade. Et ce pauvre olivier mourut avec autour de lui le chant des oiseaux de bonheur" Nathalie (7 ans) Le petit frère s'appellait Olivier !

Ainsi, lorsque les enfants se sentent vraiment libre de leur écriture, ils en profitent parfois pour régler symboliquement leurs comptes sans qu'absolument personne ne le sache, le maître étant d'ailleurs trop occupé pour pouvoir se poser des questions. Et il n'apprend souvent ce qui s'était passé que beaucoup plus tard, quand il rencontre ses anciens élèves. Il comprend alors pourquoi certains d'entre eux avaient brusquement démarré après la soudaine et étonnante expression de leur malaise. Jusque-là, il les croyait limités, alors qu'ils n'étaient qu'encombrés.

Le monde intérieur de certains enfants s'étant ainsi réordonné, ils deviennent alors disponibles pour percevoir les structures du monde extérieur et pour les assimiler. Ce qui est le but de l'école.

Donc, au total, l'écriture est un outil de meilleure vie. Mais pourquoi les enfants devraient-ils en être frustrés ?

Voir aussi le chapitre sur le langage écrit dans "l'école de la simplexité"

Commentaires
C
Est-ce que Paul le Bohec participait à l'école du 3ème type
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