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Le blog de Bernard Collot
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2 août 2018

La place des systèmes éducatifs dans l’effondrement.

 

J’ai martelé depuis des dizaines d’années que l’éducation, les systèmes éducatifs étaient au cœur et en amont de la fuite en avant vers l’effondrement. Peut-être ne l’ai-je pas fait suffisamment brutalement. Selon la loi de l’entropie, nous sommes arrivés dans la phase proche d’être irréversible de l’accélération vers l’autodestruction.

Les penseurs éclairés, des scientifiques mettent très justement en avant depuis plus d’un siècle les causes sur lesquelles agir, la notion et le pouvoir de l’économie, la consommation, les inégalités, la compétitivité, l’énergie, l’agriculture industrielle, la croissance… Ce sont bien des systèmes maintenant planétaires qui nous conduisent à l’effondrement. Ces penseurs proposent des solutions de décélération, mais peu pointent du doigt ce qui à mon sens est la base de l’impasse de nos sociétés : les systèmes éducatifs et leur école. Ce sont eux qui fabriquent depuis leur généralisation l’hétéronomie d’une espèce incapable d’évoluer, de changer de direction parce que celle-ci nous conduit à une perte que cette fois nous commençons à entrevoir, encore que nous commençons à l’entrevoir seulement parce que se dessine la menace d’un changement climatique.

Certes, les systèmes éducatifs, qui deviennent les seuls décrétant ce que doit être l’éducation, sont critiqués. Mais la critique porte le plus souvent sur leur manque de performances, de performances chiffrées (comme tout d’ailleurs est maintenant chiffré). Exemple les résultats dans l’échelle PISA à améliorer ! Lorsque l’on parle de pédagogies, on parle, même pour les défendre, de ce qui permettrait à un plus grand nombre d’enfants de mieux apprendre… ce qu’un système veut qu’ils apprennent pour être insérés dans les besoins d’une société inchangée, d’une macroéconomie détachée des intérêts humains, ceci dans et par un système inchangé. C’est toujours sur l’amélioration espérée des performances que portent les successions de réformes, jamais sur le système lui-même et sa finalité.

Massivement, sans pratiquement qu’aucun enfant futur adulte n’y échappe, les systèmes éducatifs et en particulier ceux des États jacobins ou totalitaires sont calqués selon les mêmes principes et dans les mêmes architectures sociales que les sociétés dont on sait qu’elles vont à l’effondrement. Manifestement, tous les dirigeants, justement les mieux formatés par les systèmes éducatifs, sont dans la totale incapacité d’envisager que ce sont les systèmes éducatifs eux-mêmes qui maintiennent un statu quo autodestructeur par leur emprise quasi totale sur la construction des enfants en adultes, leur hégémonie, leur uniformité (ou, au contraire, ils le savent très bien). Pire, ils en accentuent encore la puissance et la rigidité comme le fait actuellement et spectaculairement le ministre de l’Éducation Blanquer.

Manifestement l’opinion publique, si elle commence à s’interroger et à prendre un peu conscience qu’agriculture, consommation, concurrence, course aux profits… conduisent à une perte, elle continue à n’aspirer qu’à de meilleures performances de la même école sans même se demander « mais pourquoi toutes ces performances ? ». Les grandes instances qui gouvernent la planète et maintiennent l’emprise d’une économie dite de marché dans des macrostructures mondialisées ne cachent pas, elles, quelles sont les performances à développer et leurs objectifs. Les machineries des systèmes éducatifs sont profondément liées et au service de l’autre machinerie dont on sait, tout au moins une minorité lucide, qu’elle conduit bien à l’effondrement (voir Nico Hirt déjà cité). Leur principal intérêt, peu souligné, c’est l’instillation et l’acceptation d’une pensée uniforme (d’où ensuite aucune remise en cause des raisons de ce qu’une masse subit) et surtout l’intégration dès l’école, des futurs comportements, des futurs modes de vie à subir (exemple simple des rythmes scolaires auxquels doivent s’adapter les enfants).

Bien sûr beaucoup ont dénoncé l’inhibition de la créativité, de l’initiative, les méfaits du stress… mais proposent des solutions par des méthodes ou des pédagogies, sans remettre en cause la machinerie dans laquelle ils voudraient que cela puisse se développer (qui demande par exemple la suppression des programmes,  des évaluations, des examens, du bac, des diplômes ?).      

Lorsque dans les pédagogies alternatives, dans une école du 3ème type, nous découvrions qu’une autre approche, une autre vision  de ce qu’on appelle la construction des apprentissages et pour moi plus simplement la construction d’enfants en adultes autonomes, permettaient à TOUS les enfants d’apprendre aussi bien et même mieux que les autres, nous ne le mettions en avant que pour faire dresser des oreilles et rassurer une opinion publique craintive, voire hostile (voir « les diplômes ne sont pas le but d’une école du 3ème type »). Que ce soient John Dewey, Célestin Freinet, Paolo Freire, Francisco Ferrer,… tous attribuaient à l’école une fonction émancipatrice de la société existante : donner ou laisser se développer la capacité de création sociale et sociétale des enfants. Une école, tant qu’on en aurait encore besoin, qui permette aux enfants devenus adultes de ne plus être hétéronomes, c'est-à-dire capables d’imaginer et de réaliser les transformations et les renversements dont notre société a cruellement besoin et que nous, formatés par les systèmes éducatifs, avons été incapables de faire peut-être même d’entrevoir.

Lorsque l’on parle d’écoles alternatives, il s’agit bien d’une alternative, c'est-à-dire une autre finalité attribuée à l’école. L’État ne s’y est pas trompé et s’il ne les interdit pas encore, par les critères qu’il impose pour les autoriser il les vide de leur substance.

On n’arrête pas de proclamer l’importance de l’éducation pour changer le monde… éducation que devraient distiller les mêmes systèmes éducatifs qui n’ont pas du tout été institués pour changer le monde, bien au contraire (voir ce billet). Comment voulez-vous que l’éducation, en particulier quand elle est devenue un monopole d’État, éduque autrement que ceux qui éduquent ont été éduqués ? Ce n’est pas parce que l’on va mettre dans l’éducation quelques ingrédients supplémentaires comme par exemple éduquer à l’environnement ou à l’alimentation, que l’on y introduit quelques méthodes appelées innovantes,  que l’on change quoi que ce soit aux dispositifs et processus uniformisés qui conduisent à l’hétéronomie. C’est bien cette hétéronomie qu’a analysée Castoriadis qui, inéluctablement, conduit à l’effondrement. Cette hétéronomie est bien fabriquée sciemment par l’école, plus ou moins inconsciemment par ceux qui y opèrent.  Le problème qui devrait être crucial c’est comment permettre à nos enfants de sortir de cette hétéronomie dans laquelle nous sommes englués, c’est le problème de l’autonomie à acquérir, celle-ci n’étant pas de faire sans injonction ou pression ce que la société demande mais de pouvoir créer sa propre pensée et par voie de conséquence ses propres modes de vie et les organisations qui les permettent. Pas d’autonomie collective sans autonomies individuelles, nous répétait Castoriadis[1]. Combien de fois ai-je entendu de ceux qui se lancent dans les alternatives éducatives : « Le plus difficile est de nous déscolariser nous-mêmes. »

Le problème du problème c’est que dans l’état où est notre société, il est impossible de supprimer l’école tant sa nécessité est imbriquée dans les temps découpés et imposés à une immense majorité de la population et tant il parait, pour l’instant, qu’il faut « caser » les enfants dans ces temps et les préparer à s’y insérer et à les subir. Les systèmes éducatifs préparent fort bien les enfants à s’insérer dans la société actuelle, y compris comme chômeurs, ce qui ne fait que la conforter dans sa fuite vers l’effondrement. Si nous devons conserver provisoirement des espaces spécifiques à la disposition des enfants, dans ces espaces il faudra que la construction des enfants puisse s’effectuer selon les lois mêmes qui régissent tous les systèmes et écosystèmes vivants que l’on commence à connaître et qui sont justement à l’opposé de toute notre organisation et nos fonctionnements sociaux (ceux qui conduisent à l’effondrement).

Lorsque nous nous élevions contre la suppression des petites structures scolaires hétérogènes (classes uniques) l’opinion, l’establishment, les progressistes…  n’ont pas compris ou voulu comprendre que l’enjeu allait bien au-delà de l’épanouissement des enfants, de leurs apprentissages, du maintien de la vie des villages. L’opinion n’a pas plus compris l’enjeu qu’il y avait dans la défense des ZAD qui allaient aussi bien au-delà de la défense écologique d’une zone humide. Dans le même ordre d’idée, lorsque l’on admet qu’il faudrait que l’agriculture devienne biologique pour ne pas conduire vers l’effondrement, cela est impossible dans des structures latifondistes. Il est impossible d’envisager un renversement de tendances dans ce que sont devenues les structures agricoles, territoriales, économiques, politiques et évidemment scolaires, organisées en macrosystèmes, même si on leur attribuait d’autres finalités.

Si on prête au communisme qui a été perverti par le bolchevisme l’intention d’améliorer la condition humaine des populations, globalement il s’est développé dans des macrostructures semblables à celles du capitalisme, en particulier avec le même système éducatif (taylorisation, programmes, évaluations, diplômes…),  et il conduit au même effondrement. Les intentions politiques, même louables, ne suffisent plus : ce sont les schémas dans lesquels elles s’inscrivent que nous sommes devenus incapables d’imaginer autres.

Il est devenu impossible d’envisager que nos systèmes éducatifs dans leur conception et leur architecture actuelles puissent rendre les futurs adultes capables de modifier la route vers l’effondrement, de même qu’il est impossible de les préparer à tel ou tel type de société imaginée et supposée meilleure dans l’hypothèse où il y aurait un consensus général ce qui n’est pas prêt d’advenir (ces futurs adultes seraient d’ailleurs tout aussi hétéronomes, on peut dire aussi « formatés » même si le formatage est différent).

Qu’est-ce qui nous reste pour sortir urgemment de cette impasse ? Les multiples expériences (vécus) dites alternatives qui ont vu le jour depuis quelques années, pas seulement dans le domaine éducatif, expériences que je qualifierais d’instinctives. On leur reproche de ne pas avoir de perspectives politiques, de ne pas être généralisables dans le système actuel, de se réfugier dans des entre-soi… Or ce qui fait leur intérêt c’est qu’instinctivement un certain nombre de personnes ont ressenti qu’il fallait qu’elles sortent leurs enfants, puis elles-mêmes, d’un navire qui coule mais qu’aucun autre passager ne veut quitter ou changer. Instinctivement parce qu’il ne s’agit pas pour la plupart  de faire mieux que l’école (performances) ou dans une autre idéologie mais simplement dans la perception aigüe d’assistance à personnes en danger (leurs enfants).

Ces écoles alternatives sont des îlots sociaux (petites structures) qu’elles s’attellent à créer sans vraiment savoir à l’avance ce qu’ils doivent précisément être, sans calquer un modèle même si elles peuvent s’inspirer d’exemples. Elles sortent de l’hétéronomie. En mettant en avant comme principe fondamental la liberté des enfants, elles leur permettent la construction d’une autonomie individuelle dans l’autonomie d’un collectif qui peut aménager SON environnement, organiser SA propre vie, l’inventer avec les moyens dont chaque collectif dispose ou peut se donner. Elles retrouvent ce que nous avons perdu et permettent aux enfants de le développer : la capacité de création sociale. J’ai dit, répété, prouvé, d’autres l’ont dit, répété,  prouvé, qu’apprendre n’était pas un problème, n’était pas le problème.

Ce qui leur est commun avec ce qui devrait éviter l’effondrement, en particulier avec l’agriculture biologique (si ce n’est trop tard), c’est l’acceptation des principes qui régissent les systèmes vivants et les écosystèmes, qui les font évoluer et surtout perdurer. Des petites structures qui, comme la permaculture, s’adaptent aux terrains où elles se situent, peuvent les enrichir,  se conforment aux besoins de ceux qui s’y construisent mais pas aux besoins d’une société de marchés et de profits qui ne répond à aucun de leurs besoins. Nous allons vers l’effondrement justement parce que nous nous sommes extirpés des équilibres du vivant et surtout que nous en avons extirpé nos enfants.

Si aucune n’est généralisable en macro-système éducatif c’est bien justement parce que la vie (on peut dire la nature) n’est pas régie par des macro-systèmes mais par des écosystèmes. J’ai cru pendant longtemps que le système éducatif pouvait changer (les militants des pédagogies nouvelles aussi), j’avais pensé qu’une transition était possible. Force m’est de constater que c’est contre sa nature et sa finalité. Alors ?

Dans la situation où nous sommes, c'est-à-dire contraints par des États à qui nous avons donné tous les moyens ou qui s’en sont emparés, la seule solution raisonnable et urgente c’est qu’au lieu d’empêcher toute émergence de ces écoles alternatives et différentes, ils les acceptent et consacrent une partie de leurs moyens (que nous leur donnons) à ce qu’elles puissent exister et se développer de façon autonome, de la même façon qu’ils devraient accepter et aider les ZAD, toutes les petites structures d’économie solidaire, d’habitat autonome, agricoles, d’organisations horizontales… qui naissent un peu partout. Toutes ces structures développent entre elles une coopération, une mutualisation, des entraides, des complémentarités, elles évoluent, se transforment chacune naturellement dans une organisation intuitive réticulaire (écosystème) qui va à l’encontre des macrosystèmes de la mondialisation. Ce qui laisse à penser qu’elles préfigurent probablement ce qui pourrait éviter l’effondrement.

Pour l’école, c’est ce que nous avions demandé il y a quelques années dans un appel qui avait obtenu rapidement sans publicité plus de 25000 signatures… sans aucun écho ! (il est encore là bien que clos)

Inutile de penser que nos politiques élus ou qui veulent être élus, révolutionnaires, progressistes, écologiques ou non, puissent entrevoir cela ; en avez-vous entendu l’exprimer ? Seule l’opinion publique pourrait peser… mais l’opinion publique a été formatée par les systèmes éducatifs. L’effondrement est un cercle vicieux.

Voir aussi Une école du 3ème type est-elle révolutionnaire ?

Voir aussi Une école du 3ème type est-elle révolutionnaire ?

 


[1] « Lutter contre l’hétéronomie, c’est fournir les armes à ceux qui, demain, assisteront et participeront à la chute du système. »

«  L’hétéronomie "manifeste le déni par la société elle-même de son acte instituant. Une société est hétéronome dans la mesure où elle ne se reconnaît pas comme relevant d’elle-même, où son origine est référée "à une instance extra-sociale ou, en tout cas, échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants »

« La règle actuelle des sociétés humaines est celle de l’individu social hétéronome, conforme à l’institution sociale et fonctionnel pour la reproduction de cette même institution. »

Commentaires
L
Ce que j'aime dans vos analyses qui situent l'école dans une globalité comme l'ont fait beaucoup d'autres auteurs (surtout anglo-saxons), c'est que vous êtes dans le présent et qu'à partir de ce présent vous offrez les perspectives immédiates et possibles de renverser la situation qui conduit à l'effondrement. <br /> <br /> Je pense que vous voyez très juste quand par exemple vous pointez la nécessité de petites structures autonomes dans tous les domaines (vous l'avez fait dans beaucoup d'autres billets). Cet aspect structurel est rarement exposé et pourtant ce serait bien un des premiers leviers sur lequel agir. <br /> <br /> Dommage que ce ne soit pas beaucoup plus largement diffusé que sur un blog.<br /> <br /> Très cordialement
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C
Bonjour Bernard,<br /> <br /> si juste, merci<br /> <br /> Les jeunes qui ne sont pas entrés dans la course de l'école commencent à travailler à 17, 18, 19 ans, en travaillant d'abord un peu, apprenant un métier (ou plusieurs) sur le tas (ce faisant ils affaiblissent l'IDH qui sert au classement des pays en parallèle avec le PNB).<br /> <br /> <br /> <br /> Ils n'entrent pas tous dans les statistiques des % d'enfants ayant le bac (ou s'ils l'ont, de diplômes avec mentions) ; ils entrent peu dans les statistiques des étudiants ; ils n'entrent pas dans la course au travail prestigieux et chronophage, dommage pour les chiffres de la croissance.<br /> <br /> Structurellement cette option ne peut pas avoir de reconnaissance, elle est de plus en plus combattue au fur et à mesure qu'elle se développe (0,3% des enfants !)<br /> <br /> <br /> <br /> "On leur reproche de ne pas être généralisables dans le système actuel" <br /> <br /> vouloir généraliser fait partie du problème, en effet.<br /> <br /> <br /> <br /> "simplement dans la perception aigüe d’assistance à personnes en danger (leurs enfants)."<br /> <br /> c'est bien dit !<br /> <br /> <br /> <br /> "En mettant en avant comme principe fondamental la liberté des enfants" <br /> <br /> ça c'est au début : on aspire à la liberté tant qu'on se sent violenté.<br /> <br /> Ensuite ce qui compte est l'interaction avec les autres, "la capacité de création sociale" comme tu dis.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à toi,<br /> <br /> Claudia
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L
Intéressante cette liaison entre effondrement et systèmes éducatifs. Je retiens l'idée d'organisations réticulaires plus ou moins spontanées ou naturelles qui s'effectuent entre toutes les expérience alternatives et qui font qu'elles ne sont pas isolées. Mais c'est aussi ces réticules comme par exemple les réseaux sociaux que les Etats veulent réduire avec d'autres prétextes.
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