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Le blog de Bernard Collot
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6 mai 2022

1940-2021 (91) – 1976 à 1996 – Les maires

maire

Le maire et l’inspecteur, les deux personnages dont l’école et ce qui pouvait s’y faire dépendaient beaucoup.

Lors de l’instauration de l’instruction obligatoire, la commune était tenue de fournir un local et le matériel, l’Éducation nationale devant nommer et payer le fonctionnaire qui allait instruire les enfants. L’école dépendait alors des moyens octroyés par le maire et son conseil municipal, l’instituteur dépendait de l’inspecteur représentant l’État. Les parents n’avaient pas le droit à la parole. C’était donc avec ces deux personnages que nous devions nous débrouiller et louvoyer.

Les maires en milieu rural.

Les maires avec mon passé en Beaujolais, je les connaissais bien. Non seulement celui de mon village mais aussi de par mes activités périscolaires les autres maires du canton. Ma direction de la colonie de vacances de la ville de Caluire-et-Cuire m’avait aussi servi à saisir comment fonctionne un conseil municipal, les obligations budgétaires et autres d’une commune, comment argumenter une demande pour en faire comprendre l’intérêt ou la nécessité (voir l’épisode sur les colonies de vacances).

À Lantignié

Celui de Lantignié était un vieux vigneron que l’on pourrait qualifier de réactionnaire qui avait envoyé ses propres enfants à l’école privée du village. Beaucoup de maires (pas tous !) orientent leur politique communale par rapport au nombre d’électeurs qui les ont élus et seront susceptibles de les réélire. À Lantignié le rapport de force s’il était en faveur du maire sa majorité n’était cependant pas très grande et le clivage entre elle et l’opposition était justement déterminé par les partisans de l’école privée d’un côté et ceux de l’école publique de l’autre. D’autre part le président du Sou des écoles, chef de l’opposition mais respecté par tout le village, avait réussi à me faire élire au Conseil municipal si bien que je pouvais veiller à ce que tout refus à mes demandes soient argumenté et discuté puis faire l’objet d’un vote. Dans ces petites communes on débattait très peu lors des réunions du Conseil, les votes consistaient le plus souvent à dire amen à ce qu’imposait l’administration, souvent incompréhensible, et où dire non était impossible. Les éventuelles contestations, c’était après, au bistrot. Pour critiquer un budget il fallait avoir demandé à l’avance sa communication et l’étudier ce qui n’était pas évident vu sa forme bureaucratique que devait en faire la secrétaire de mairie ; avec mon ami le président du Sou des écoles nous nous régalions à semer le trouble en le faisant. Si je rajoute que c’était l’époque où le progrès ne pouvait être contesté, j’avais pu me servir de tout cela pour obtenir presque tout ce que je demandais pour l’école publique au nom de la modernité.

 À Moussac

Lorsque je suis arrivé à Moussac, je n’étais donc pas du tout innocent. J’avais aussi compris que d’une façon générale les maires étaient le plus souvent amenés à répondre à des demandes sans pour autant être conviés à venir voir ce qui se passait dans leur école, ce qui était fait des moyens alloués, à questionner, à s’intéresser à ce qui était pourtant ce qui faisait la vie des petits villages. En somme ils étaient juste ceux à qui on demandait de payer. D’autre part le turnover des titulaires d’une classe avait de quoi les décourager : combien de matériel informatique a été demandé et obtenu par un enseignant pour stagner ensuite dans un placard avec l’enseignant suivant.

J’ai déjà raconté mon premier contact avec le premier maire de Moussac, un paysan proche de la retraite. Il en avait surpris beaucoup en s’engageant comme il l’avait fait pour sauvegarder ce qui devenait son école et l’école du village, alors qu’il était considéré comme traditionnel et plutôt de droite comme beaucoup de paysans.

Son successeur a été un gendarme à la retraite. Au cours de sa carrière il avait surtout occupé des fonctions dans les bureaux d’un centre de commandement. Autrement dit, tout comme moi il avait été un fonctionnaire devant se plier à la bureaucratie d’un corps de l’État. Avec lui aussi j’avais donc des points communs. Politiquement il devait être plutôt de centre-droit. L’affaire de l’école était bien devenue une des affaires les plus importantes du village et sans hésitation il a continué à répondre favorablement aux demandes et même à permettre à l’école de s’engager avec les technologies nouvelles de communication (TNC) ce qui n’était pas évident à l’époque. Il venait même souvent assister et participer aux réunions avec les parents ou venait nous dire bonjour dans la classe. J’ai déjà raconté comment il avait bien compris l’intérêt de l’école et des parents et accepté la solution des emplois aidés.

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Il y a eu juste un moment un peu délicat lorsque j’avais demandé l’installation du téléphone dans l’école. Pour moi c’était pour que les enfants puissent intégrer cet outil dans le réseau de communication avec d’autres écoles, mais j’avais surtout prétexté que c’était indispensable en cas d’accident ou d’incident pour prévenir médecins, pompiers ou gendarmerie. « D’accord, mais je sais quand j’avais à m’occuper du secrétariat à la gendarmerie ce que peuvent coûter les notes téléphoniques. Donc à condition qu’il ne serve qu’en cas de nécessité ! » Évidemment, nous nous en sommes bien servi pour la communication dans le réseau d’écoles… et la première note téléphonique reçue à la mairie a été un choc ! La discussion fut difficile. D’accord pour le modernisme, mais là j’allais un peu loin même s’il comprenait.

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La chance c’est que dans la foulée il y a eu dans la Vienne le premier plan informatique pour les écoles, ordinateurs, télévision, magnétoscope… et dans un des TO7 une cartouche permettant d’émuler un minitel qui n’était pas encore distribué gratuitement dans le département. Tout ce matériel devant pouvoir aussi permettre à la population du village de se familiariser avec ces nouvelles technologies. Moussac fut un des premiers villages à s’équiper. Il y a donc eu dans l’école une inauguration lors de son installation avec le conseiller général du canton, le directeur du service des technologies du Conseil général, peut-être même un sénateur, un journaliste du journal régional, tout ce beau monde invité par un maire fier comme Artaban, à juste titre.  À partir de ce jour je n’ai plus jamais entendu parler de note téléphonique !

Le troisième maire a été un retraité des PTT. Peut-être politiquement un peu de centre-gauche. Encore une chance : avec mon père postier, j’avais baigné dans le monde de la poste pendant mon enfance et mon adolescence. Nous étions encore en pays de connaissance. Il s’est autant impliqué que ces prédécesseurs ce d’autant qu’à partir de 1989 et le début de l’éradication des petites écoles il fallait en plus la défendre. L’école avait acquis dans la région une certaine notoriété quant à l’utilisation des TNC (Technologies Nouvelles de Communication). Son immense récompense fut lorsqu’il avait été invité par la direction départementale des PTT à parler de l’expérience de Moussac devant tout un parterre composé de ceux qui avaient été autrefois ses supérieurs. J’ai eu droit à toute la narration de cette séance mémorable pour lui.

L’histoire de l’école de Moussac a bien été aussi celle de ses maires. Si elle a perduré ainsi 35 ans, c’est aussi à ses maires qu’elle l’a dû. Les maires et mairesses qui se sont succédés après mon départ ont continué leur soutien à l’école et poursuivi son amélioration (transformation du préau en salle vitrée, du logement en médiathèque) jusqu’en 2009 où l’Éducation nationale a fini par se débarrasser de cette classe unique lors du départ à la retraite de mon successeur. Mais, chose rare pour les petites communes, au lieu de transformer et louer le bâtiment à des particuliers tous les maires suivants l’ont conservé et utilisé comme centre de loisirs pour les enfants du village, puis en 2020 il a été loué à… une école alternative ! J’ignore si cette dernière s’est située dans le prolongement de l’histoire qui avait été construite et si elle est redevenue l’école des enfants du village.

Encore une fois j’y ai compris l’importance de la re-connaissance même si l’interlocuteur n’a pas les mêmes opinions, les mêmes idées, c’est elle qui permet la discussion, l’acceptation ou le compromis pour un projet demandant l’implication de chacun et concernant le bien public. En ce qui concerne l’école, autrefois vraiment communale, il n’a pas souvent été reconnu ce que les maires avaient fait et beaucoup plus reproché ce qu’ils n’avaient pas fait. Nombreux ceux qui ont été à nos côtés et se sont fortement impliqués lorsqu’il a fallu lutter contre la suppression des petites écoles.

 Prochain épisode : les inspecteurs - épisodes précédents ou index de 1940-2021 

 

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