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Le blog de Bernard Collot
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8 février 2019

Ecole et société (10) De la liberté

 

 

gilets-jaunes

Liberté, égalité, fraternité.

  Trois beaux mots ! Pour les deux derniers, plus grand monde n’ose dire qu’ils ont pu un jour être effectifs et même qu’ils le seront un jour. Pour le premier on continue de le brandir, surtout par comparaison : dans notre pays nous serions beaucoup plus libres que dans d’autres, ne nous plaignons pas ! Tout dépend où le curseur de la liberté est placé et qui place le curseur.

  D’une façon générale, on peut dire que la liberté… fait peur ! Pas seulement à ceux qui dirigent, on comprend facilement pourquoi, il fait peur à tout le monde. On a peur de la liberté… des autres, peut-être même qu’on a peur d’être libre soi-même parce qu’il va falloir alors assumer sa personne, ses chemins à prendre.

  Je ne m’étendrai pas trop sur la liberté individuelle dans notre société ou de la liberté d’une société, beaucoup l’ont abordé depuis longtemps et bien mieux que moi.  C’est surtout à propos des enfants et de l’école que je m’attacherai à ce mot. Nait-on libre ou le devient-on ? C’est le grand sujet de philosophie. Sur le terrain qu’en est-il ?

Le texte .pdf en une colonne : _cole_et_soci_t___11__de_la_libert_

École Société

 

Société

A l’école, libre d’être ? Libre de faire ?

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Société libre ?

  « L’enfant roi » c’est ce qui serait advenu avec 68 et Françoise Dolto ! « Retour à l’autorité » dans les familles, et l’école ira mieux. Ce qui a effectivement changé depuis quelques décennies dans un bon nombre de familles, ce n’est pas tellement la liberté des enfants, c’est surtout un autre regard porté sur eux, une beaucoup plus grande attention souvent porteuse d’inquiétude et l’introduction de la bienveillance justement dans la relation d’autorité.

  Lorsque des adultes plongent dans leurs passés d’enfants, ce qui revient souvent c’est le souvenir des moments d’une liberté vécue, même enjolivée, ou à l’inverse l’absence de liberté. Ces espaces-temps hors de la surveillance des adultes sont devenus beaucoup plus rares aujourd’hui, même en milieu rural. Bien sûr il y a le souci sécuritaire, voire la phobie sécuritaire,  il y a le souci permanent de la « responsabilité » éducative, mais le regret qui surgit soit d’avoir perdu ensuite cette liberté quelque peu sauvage ou de ne l’avoir jamais connue devrait interpeler sur la place du concept dans la construction des personnes.

  La « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4 de la Déclaration des droits de l'homme), ce qui implique la possibilité de « faire tout ce qui n'est point interdit, comme ne pas faire ce qui n'est point obligatoire » (art. 5), la « liberté de dire ou de faire ce qui n'est pas contraire à l'ordre public ou à la morale publique » (Wiki). Dans la pratique ce que l’on peut faire librement est listé dans ce qui est « autorisé » !

  La vraie liberté qui reste est l’espace entre ce qu’on vous autorise de faire, ce qu’on vous empêche de faire et ce qu’on vous oblige de faire. Autrement dit il ne reste pas grand-chose et dans l’école traditionnelle il ne reste rien, même pas la liberté d’aller faire pipi lorsqu’un enfant en a besoin. Je n’ai pas besoin d’insister sur le contrôle absolu des faits et gestes des enfants à l’école traditionnelle, jusqu’à l’impossibilité de la liberté d’être ce que l’on est comme par exemple d’être ce qu’on appelle hyperactif ou TDAH et d’une façon générale différent.

  Pas un enseignant ne pense qu’il éduque à la soumission ni ne veut éduquer à la soumission, pas un ministre n’osera le dire, même si… Mais tout le monde, y compris la majorité des parents, est convaincu qu’il faut que, dès trois ans aujourd’hui, les enfants ne fassent pas autre chose que ce qu’on leur dira de faire pendant la plus grande partie de leur temps pour qu’ils sachent lire, écrire compter  et acquérir les connaissance jugées indispensables à tout adulte. Une majorité est convaincue qu’il faut qu’ils apprennent à penser avant de penser, que si on les laissait faire ils ne feraient que « jouer » et qu’ils seraient même dangereux pour eux-mêmes… (Voir un prochain billet sur le risque). Lorsque l’on fait remarquer que l’école correspond à un long emprisonnement (même soft), on provoque l’incompréhension et on se fait traiter d’irresponsable, voire de débile. Poser la question de la liberté à l’école traditionnelle est incongru puisque celle-ci y est anormale et ne ferait que troubler son bon fonctionnement.

  Pourtant les pédagogies actives et en particulier la pédagogie Freinet ont introduit la notion de liberté dans leurs pratiques, plus ou moins selon le degré qu’elles atteignaient.

  - D’abord dans l’expression libre. Soit dans des moments particuliers comme celui de l’entretien du matin, celui des débats philosophiques… soit dans l’expression écrite et sa diffusion (textes libres, journal scolaire, sites…). Enlever aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, c’est leur ôter aussi la liberté de penser (Emmanuel Kant). Mais lorsque la pensée communiquée n’était pas conforme au politiquement ou pédagogiquement correct, cela a provoqué une levée de boucliers. En 1933 le texte libre d’un petit émigré espagnol publié dans le journal scolaire  de St-Paul de Vence a débouché sur l’affaire Freinet et un scandale national ainsi qu’à la démission de Freinet de l’école publique. Il y a eu et encore aujourd’hui bien d’autres affaires plus ou moins semblables ayant pour origine la liberté de parole et d’écrit accordée aux enfants. Il parait toujours impensable et dangereux que des enfants puissent s’exprimer et être capables de s’exprimer librement dans l’école publique. On ne veut pas voir que, dans ces pédagogies, c’est dans l’écoute et l’échange respectueux des pensées que celles-ci s’affinent, évoluent et que disparait la violence quand chacun est reconnu comme pouvant être différent.

  - Ensuite c’est dans la relative liberté des choix des activités. La liberté du choix suppose qu’il y ait au moins une alternative. Cette liberté est cependant relative parce que dans ces pédagogies le choix ne peut se faire que parmi ce qui est proposé ou seulement à des moments déterminés. Des activités restent obligatoires mais les enfants peuvent choisir les moments où ils les feront dans la journée ou la semaine (fiches autocorrectives, rédaction de textes libres…). Ils peuvent aussi choisir d’explorer tel ou tel thème (exposé), de se lancer dans telle ou telle recherche, de peindre ou de faire de la musique ou du théâtre… en général dans les moments prévus (espace-temps des ateliers), de proposer telle ou telle activité soit à l’enseignant, soit au collectif. Il y a une certaine liberté d'entreprendre, d'initiative.

  - La limite de cette liberté est le pédagogiquement correct… pour que les programmes se fassent. Elle induit la nécessité d’outils pour la permettre et l’organiser, d’où l’utilisation des « plans de travail » de la pédagogie Freinet, les réunions et les conseils coopératifs, les décisions collectives….  

  La pédagogie Freinet a tenté et tente toujours de s’appliquer dans l’école publique en espérant la faire changer. Malgré les preuves de son efficience depuis près d’un siècle, elle continue de buter sur l’inquiétude des parents qui craignent que s’il n’y a pas suffisamment d’obligations leurs enfants n’apprendront pas tout ce qu’ils pensent que les autres apprennent, qui craignent ce qu’ils n’ont pas connu (une certaine liberté). Elle bute évidemment sur l’État qui se garde bien de la faire connaître et qui ressent son caractère subversif.

  Et pourtant les écoles allant vers une école du 3ème type ou les écoles démocratiques permettent la liberté totale d’être et de faire parmi ou avec les autres.  

  Pour les écoles du 3ème type, j’ai expliqué longuement dans mes écrits ou mes conférences que c’était, à partir de la pédagogie Freinet, un processus qui avait amené des enfants, des parents et des enseignants à constater que non seulement les enfants étaient capables d’être libres mais que c’était dans cette liberté qu’ils construisaient chacun à leur façon tous les apprentissages qui leur seront nécessaires comme adultes sociaux. Les écoles démocratiques qui se créent aujourd’hui placent d’emblée cette liberté comme leur fondement. Dans les deux cas il faut offrir aux enfants qui y vivent des environnements propices et provocateurs.

  Dans les deux cas  il y a  le nécessaire tâtonnement expérimental de la liberté, pour aboutir à la liberté dans les écoles du 3ème type, pour qu’elle s’exerce harmonieusement dans les écoles démocratiques. Si dans les espèces sociales l’interdépendance entre les individus conduit à l’organisation sociale, la liberté nécessite que les collectifs créent le cadre qui la permet. La liberté des faire nécessite l’auto-organisation (j’y reviendrai dans le prochain billet « des lois, des règles »).

  Il est bien plus facile d’obéir (d’être conduit) que d’être libre pour un enfant dans une école (et même pour un adulte dans la société), ce d’autant que peu ont pu vraiment vivre la liberté avant. Nous l’avons constaté lorsque qu’arrivaient des enfants d’une école traditionnelle. La liberté implique qu’il va falloir s’engager de soi-même dans des projets, trouver des projets, oser s’y lancer… et ce parmi les autres. La liberté implique qu’il faut être responsable de soi-même. Il fallait aider ces enfants, mais c’est surtout la liberté des autres et leurs façons de l’assumer qui les faisaient entrer dans ce qui est un autre monde.

  On ne nait pas libre, on le devient !

  Nous avons prouvé dans nos écoles de 3ème type que dans cette liberté tous les enfants apprennent, conformément à la déclaration des droits de l’homme : Art 26. 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, alors que ce n’est pas de l’utopie puisque cela a existé et malgré les constats, cela reste inconcevable pour l’immense majorité des parents et enseignants ! La liberté est devenue une de nos plus grandes peurs au point que nous n’arrivons plus à concevoir sa puissance créatrice.

  Dans le même article de la déclaration des droits de l’homme : 3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants. Même sans déclaration, dans tout le monde animal les parents sont naturellement responsables de la transformation de leurs enfants en adultes autonomes. La liberté c’est pouvoir choisir entre des alternatives, pour un parent ce devrait être de pouvoir choisir le type d’école ou le type de pédagogie qu’il juge le plus bénéfique pour ses enfants. Or, à moins d’avoir des moyens, tous les parents sont condamnés à accepter l’uniformité de l’école publique qui leur est désignée. Ils n’ont pas à émettre un avis et de toute façon ils n’ont pas le choix : les écoles publiques en pédagogie Freinet sont rarissimes, les écoles alternatives qui arrivent à se créer malgré les contraintes et la surveillance de l’État sont également rares et surtout hors des moyens de la majorité des familles, quant à l’éducation à la maison (unschooling) les contraintes et la surveillance sont encore plus fortes. Par cette absence totale de liberté, les parents sont ainsi de facto déresponsabilisés du présent et du devenir de leurs enfants, ce qui n’empêche pas l’État de les rendre responsables quand ceux-ci ne sont pas conformes à ce qu’il veut qu’ils soient.

  Est-ce que l’on peut croire qu’une société puisse être composée de citoyens libres et responsables quand son école qui s’arroge le seul droit d’éduquer « élève » tous les enfants dans l’absence totale de liberté et dans l’irresponsabilité ?

 

    La question est quand même bien d’actualité à propos de la liberté de manifester ses désaccords ou son mécontentement et que le moindre prétexte, largement provoqué par l’État, fait rédiger des lois pour la rendre le plus difficile possible. C’est qu’ils ne seraient pas suffisamment « responsables » ces citoyens récalcitrants ! C’est vrai que l’école ne les a pas habitués à être responsable (voir ci-contre) mais comme ils l’ont moins longuement subie que leurs élites, ils ont démontré qu’ils le sont un peu plus qu’elles… responsables.

  Dans une société régie par des macrostructures qui imposent leurs obligations (voir le billet sur la taille des structures), les espaces-temps où peut s’exercer une liberté dans la définition qu’en donne wiki sont réduits. C’est sous le joug de ces macro-systèmes que nous sommes, autant que de la minorité qui ne fait que les servir et d’en profiter après les avoir créés. Les dégâts qu’ils provoquent réduisant encore les choix libres que nous pourrions faire. Par exemple et pour rester dans l’actualité, une majorité n’est même plus libre par nécessité de faire le choix de ne pas avoir de voiture et elle devient responsable et punie de ne pas pouvoir le faire.

  Les droits de la déclaration qui devraient assurer notre liberté responsable sont devenus tout ce que nous n’avons pas le droit de faire et tout ce que nous devons faire. Les choix disponibles sont réduits, beaucoup n’en ont même plus ! Je n’insisterai pas plus sur ce que tout le monde vit, Coluche aurait bien résumé cela « Dieu à dit : Tout le monde est libre, ça ne sera pas facile… mais cela sera bien plus difficile pour les pauvres ! »

  La liberté qui nous resterait serait celle de penser et de l’exprimer, à condition que ce ne soit pas contraire à l’ordre public et  à la morale publique (Wiki). L’ordre et la morale publics on sait qu’ils sont à géométrie variable suivant ceux qui les édictent. Bien sûr personne ne peut empêcher chacun de penser, ce qui se passe dans les têtes est impossible à contrôler. Les philosophes ont donné une définition de l’autonomie comme étant la capacité de penser par soi-même. Faudrait-il encore que chacun ait le temps et l’esprit disponible de penser dans le « métro, boulot, dodo » et l’occupation de ce temps pris en totalité par la survie. Faudrait-il aussi que le cerveau de chacun ne soit pas submergé par la pensée unique diffusée à longueur de journée par tous les moyens de communication au pouvoir de quelques-uns, on appelle cela le « politiquement correct ! ». Un dirigeant d’une grande télé l’a même cyniquement avoué. Faudrait-il enfin que cette capacité de penser par soi-même ait pu se développer pendant l’enfance et en particulier dans l’école (voir ci-dessus).

  Penser sans pouvoir l’exprimer publiquement c’est ne pas avoir la liberté de penser nous dit Kant. Mais exprimer sa pensée c’est accepter de la confronter à celle des autres. Nous en avons si peu l’habitude et nous en craignons tant les conséquences supposées que même dans les grandes réunions de famille il est de bon ton de ne jamais parler politique ou religion ! Nous intégrons l’autocensure même dans nos modus vivendi. C’est peut-être pour cela qu’instinctivement se créent les entre-soi qui s’isolent et où l’on est rassuré par la communauté de pensée.

  Si, malgré tout, on veut exprimer publiquement sa pensée, si on a accès aux espaces de communication publique, si on se garde bien de ne pas être contraire à la morale publique, il faut alors s’exprimer dans les langages et dans les codes de ceux qui maîtrisent ou qui possèdent les moyens de la diffusion des pensées. Toujours en restant dans l’actualité, on a bien vu comment les Gilets jaunes qui se sont retrouvés sur des plateaux de télé sont délibérément mis mal à l’aise, voire ridiculisés, par les experts de la communication. Les langages et les codes imposés ne sont pas innocents, ils induisent par eux-mêmes comment il faut penser et ce qu’il est toléré de penser.

  Sur les ronds-points les Gilets jaunes ont découvert la liberté de penser et de l’exprimer, et cela a été plus important que d’empêcher des voitures de passer. Comme quoi la liberté de penser est un besoin aussi naturel que celui de respirer. Cela semblait tellement impossible et incorrect qu’il a été aussitôt émis que ce qu’ils disaient était soufflé par les diffuseurs de pensée d’extrême droite, d’extrême gauche et autres. Le danger pour les pouvoirs en place était bien que cette liberté de penser et de l’exprimer chacun à sa façon se répande et devienne de l’insoumission à la pensée unique et peut-être l’émergence d’une autre pensée collective. D’où l’organisation de « débats », orientés, canalisés, conduits, maîtrisés par ceux qu’une autre pensée aurait mis à mal. Lorsqu’un président expert de la parole veut bien qu’un parterre choisi exprime quelque chose, c’est lui qui occupe le temps de la parole pour ramener habilement les pensées différentes  à la sienne.

  La liberté dont on se réclame et qui devrait faire naître une autre organisation sociale, politique, et économique pour pouvoir l’exercer parmi et avec les autres existe-t-elle ? A-t-elle existé ?

  Le monde et l’environnement dans lesquels vit l’espèce humaine a bien été une création de l’esprit… de quelques-uns (lire Castoriadis L'Institution imaginaire de la société - 1975, Seuil). Il ne pourra changer que si se libèrent d’autres pensées qui s’expriment, s’échangent pour constituer une autre pensée collective.

 

Quelques écrits : La liberté à l’école et ailleursPlus jamais ça - Choisir son école, choisir la pédagogie, interdit aux parents

Prochain billet : (11) Des lois, des règles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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