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Le blog de Bernard Collot
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28 décembre 2018

Société et école (3) La taille des structures

gilets-jaunes

 

C’est d’un long vécu en classe unique qu’a émergé une autre conception de l’école. Une des conditions fondamentale pour que l’école change c’est que les enfants puissent vivre dans de petites structures hétérogènes autonomes tout en faisant vivre celles-ci, les apprentissages n’étant qu’une conséquence d'un vivre ensemble. La construction des enfants en humains sociaux dépend en grande partie de la taille des structures dans lesquelles on les oblige à  ne pas vivre. Le rapport que l’on peut faire avec la société semble évident.

 Billets précédents : (1) intro et valeur du travail - (2) Domination, soumission

Société

 

École, Éducation

Taille des structures territoriales, sociales, économiques…

.

Taille des structures scolaires

  Des ethnopaléontologues  ont observé, dans la succession des strates géologiques, l’évolution des traces de groupes d’hominidés, s’agrandissant d’une strate à l’autre, puis disparaissant pour réapparaitre dans la strate supérieure dans une petite dimension, s’agrandissant à nouveau pour encore disparaître…

  Récemment des historiens étudiant dans les cinq derniers millénaires divers civilisations aussi sophistiquées que la nôtre ont aussi constaté qu’atteignant une certaine dimension elles s’écroulaient.

  Des espèces sociales comme les abeilles limitent la taille de leurs colonies à une dimension optimale et perdurent depuis des centaines de milliers d’année.

  - Dès que la taille d’un groupe social dépasse le niveau où chacun de ses membres ne peut ni percevoir tous les autres, ni se percevoir dans cet ensemble, ni percevoir l’ensemble, il est dans l’incapacité de s’auto-organiser, de permettre à tous ses membres de participer à son organisation, à ses décisions  (démocratie participative). Il est alors à la merci de dominants.

  -  Plus les entités territoriales (villages, villes) sont vastes (mégapoles), plus elles sont fragiles, à la merci de la moindre perturbation extérieure ou intérieure, plus elles sont dévoreuses d’énergie, plus elles doivent consacrer un grande partie de leurs moyens à la surveillance, au contrôle, plus elles sont dans l’incapacité d’assurer une autosuffisance et plus elles dépendent de mégastructures extérieures de production et de distribution… plus elles sont invivables.

  - Les États-nations ne sont jamais nés d’une volonté et d'un besoin des habitants de territoires mais leur ont été imposés par des minorités, écrasant toutes les petites structures autonomes qui s’étaient naturellement constituées dans un social-historique. Ce sont des mégastructures artificielles qui ne peuvent se maintenir que par d’imposants systèmes de maintien d’un ordre imposé. Les empires ont nécessairement besoin de dictateurs et d’États totalitaires (ils s’écroulent d’ailleurs tous au bout d’un certain temps)

  - Plus un système de production industrielle est une mégastructure, plus il est à la fois fragile et dangereux, plus il nécessite la croissance exponentielle de moyens pour son contrôle et devient ingérable. Exemple des centrales nucléaires et du réseau de distribution électrique.

  - La production de l’énergie nécessaire à la vie collective, sa répartition et sa distribution,  lorsqu’elle est centralisée et accaparée par quelques méga-groupes économiques et financiers, ne s’adapte plus aux besoins des individus et des petites structures mais seulement aux intérêts (profits) de ces groupes. Sa limitation n’est plus régulée, les sources de production d’énergie autonomes, localisées et renouvelables sont privées de moyens ou empêchées.

  - L’agriculture biologique est aujourd’hui admise comme devant devenir notre source alimentaire. Or elle ne peut se développer que dans de petites structures agricoles en polyculture, alimentant leur proximité territoriale dans d’autres relations avec les consommateurs de cette proximité. L'agriculture industrielle exploite elle de grandes surfaces faisant nécessairement partie d'un macrosystème économique incluant de macrosysèmes chimiques, de transports, financiers... 

  - La pêche, les systèmes financiers, les systèmes de transport, de communication, etc., etc.

  - L’extension  permanente et exponentielle de toutes les structures nécessaires à notre espèce sociale a abouti à ce qu’on appelle la mondialisation. Il n’y a plus de régulation possible par l’interdépendance entre structures autonomes. L’exploitation des ressources étant faite par une mégastructure économique pour son seul maintien, d’une part elle en prive chaque petite structure territoriale pour ses propres besoins, d’autre part cette exploitation n’ayant plus une finalité de survie épuise les ressources sans limites. Le dysfonctionnement de n'importe laquelle de ces macrostructures entraine celui de toutes les autres.

   - Toutes les mégastructures composant et s’imposant à une société sont dans l’incapacité de s’adapter aux divers besoins réels de tous les membres de cette société, dans l’incapacité de s’adapter aux nécessités environnementales qui assurent la survie générale, dans l’incapacité de s’adapter aux modifications naturelles de cet environnement, dans l’incapacité de le protéger. Elles ne peuvent maintenir un écosystème puisqu’elles détruisent un écosystème social. 

  Dans toutes les mégastructures, ce ne sont plus les hommes qui les utilisent et les maîtrisent ce sont elles qui utilisent et maîtrisent les hommes.

  Notre société court à l’effondrement tant qu’elle n’aura pas stoppé l’extension puis réduit ou scindé la taille de toutes ses structures territoriales, politiques, économiques, agricoles, industrielles, d’habitat… dans d’autres relations d’interdépendances.

 

.La taille des écoles a pendant longtemps varié  suivant la démographie de chaque commune qui était tenue à avoir une école (de la classe unique aux grands groupes scolaires urbains). Chaque école était liée à son territoire de proximité.

Il a été avéré par les travaux du ministère de l’Education nationale lui-même que les résultats des plus petites structures (classes uniques) étaient supérieurs à la moyenne nationale.

  - Nous avons suffisamment et longuement démontré que pour que les constructions cognitives des enfants s’effectuent naturellement de par les interactions avec un environnement et les interrelations à divers niveaux de langages et dans de multiples langages, il fallait que les enfants puissent vivre dans la microsociété que constitue une petite structure hétérogène (multi-âge) avec son aménagement et son environnement. (Développement dans les textes cités ci-dessous)

  - La socialisation est habituellement définie comme « le  processus par lequel l'enfant intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) et s'intègre dans la vie sociale ».

Or nous considérons que la socialisation est le processus qui conduit l’enfant à se percevoir dans les interdépendances d’une entité sociale, à participer à l’élaboration des règles explicites ou implicites qui permettent l’être et les agir de chacun parmi et/ou avec les autres, de participer aux projets nés du groupe ou d’insérer ses projets dans ceux du groupe, de contribuer à l’évolution du groupe et à l’élaboration de la culture du groupe dans son social-historique. Après la famille, comme pour tous les groupes sociaux (voir ci-contre), la taille d’une structure scolaire ne peut aller au-delà des capacités de chaque enfant à percevoir les autres (nombre), à interagir avec les autres, à vivre parmi et avec les autres.

  - Aucune construction cognitive ou sociale ne peut se faire dans un état insécure. Passer brutalement de la structure sociale familiale à des ensembles parfois de plusieurs centaines d’enfants avec quelques adultes, en coupant quotidiennement le lien affectif biologique avec les parents qui  constituent jusqu’à l’âge adulte le recours naturel, c’est une violence psychologique qui a toujours des conséquences, soit immédiates, soit ensuite dans les comportements adultes. Quelle que soit la bonne volonté des enseignants ils ne peuvent être le recours affectif dont les uns ou les autres auraient encore plus ou moins besoin.

  - C’est dans les grands ensembles que les enfants (comme les adultes) sont les plus isolés, que la construction de relations multiples et sécures est la plus difficile (déjà souligné dans le billet précédant : individualisation au lieu d’individuation). Plus il y a d’enfants, plus il leur est difficile de se faire re-connaître et de re-connaître les autres. La re-connaissance résulte de la perception de ce que sont les autres dans leurs agir, leurs dire, dans ce qu’ils demandent ou dans ce qu’on peut leur demander, dans les entraides, dans les intérêts communs, les affinités qui se découvrent… Or dans l’école traditionnelle et plus la structure est grande, c’est une masse d’enfants condamnés à se côtoyer sans beaucoup de possibilités de se faire voir autrement que comme des « élèves », objets en lesquels ils ont été transformés.

  - Plus la structure scolaire est grande, plus elle devra faire supporter de contraintes pour son propre fonctionnement et son propre maintien, plus elle devra limiter les libertés y compris celle de circuler, plus l'autonomie et l'initiative seront réduites, plus l’autorité coercitive sera nécessaire et devra être acceptée.

  - L’école devrait être ce qu’une collectivité territoriale met à la disposition de ses enfants dans leur proximité. Faut-il encore que cette collectivité (village, quartier) puisse aussi se constituer elle aussi en une entité sociale, capable d’une intelligence collective, capable d’utiliser ses moyens à partir de consensus. (voir ci-contre)

  - Il est évident que généraliser les petites structures multi-âge scolaires mettrait à mal toute la conception du macro-système éducatif, sa finalité, son architecture, les positions et la hiérarchie de tous ses acteurs. Mais il est aussi évident que, tel il est, aucune de ses finalités déclarées ou dissimulées (l'école au service des intérêts de l'Etat et de l'économie de marché) n'est atteinte.

 

  L’école ne pourra contribuer à aider les enfants à devenir des adultes épanouis et citoyens tant qu’elle les déplacera et  les entassera dans des usines à enfants

Quelques textes qui développent ce thème : Petites structures, (extrait de « L’école de la simplexité ») Multi-âge (id°) -  Petites structures hétérogènesLes classes uniques ont toujours été révolutionnairesDisparition des petites écoles, un problème écologiqueColère : que vivent les grenouilles… Mais les enfants ? Bof !Le paradigme du multi-âge, encore insupportable.

Ouvrages de référence : L’école de la simplexité - Chroniques d’une école du 3ème typeUne école du 3ème type, un paradigme à explorer avec les enfants

Billet suivant : Société et école (4) : L’espace vital.

Commentaires
B
Marc, l'analyse institutionnelle : "Analyse institutionnelle, Robert Hess, Michel Authier, Puf. " Michel Authier est d'ailleurs un ami de Jean-Louis Chancerel. C'est lui "Les arbres de connaissance"
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M
Bonjour à tous. Dans la réponse de m Chancerel , il parle d'analyseunqr
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C
On m'a attribué et j'ai accepté le rôle de théoricien; mais je reste quelqu'un qui passe son temps sur divers terrains (encore actuellement à près de 75 ans). Ces terrains sont pour moi des sources de réflexions (et de réflexivité). Or ces terrains ne peuvent être que de l'ordre du local. C'est la force de notre travail et de nos propositions. Il y a certes toujours de l'incohérence par rapport à ce qui est de l'ordre du scientifique qui vise à l'universel. Cela ne permet pas d'être PIAGET, BOURDIEU, ou d'autres auteurs prestigieux, mais cela permet de vivre des aventures avec des gens qui essaient, essaient encore, jusqu'à ce que quelque chose se stratifie et se construise. Que ce soit l'expérience dans une classe ou la construction d'un système de formation, cela c'est la vie. La pédagogie a trop souvent été tentée par le discours définitif qui ne peut être qu'un discours de mort de l'action engagée. Comme toi Bernard, tous mes travaux sont aussi des amorces, des essais qu'il faut sans cesse transformer (je suis un ancien joueur de rugby). C'est sans fin, mais c'est cela la vie. J'ai eu la chance de pouvoir échanger toutes ces expériences avec des collègues, des étudiants, des acteurs qui m'ont accompagné et que j'ai accompagné. Heureusement que l'on m'a donné le rôle de théoricien, cela m'a contraint à témoigner dans des écrits et cela a permis les débats et la diffusion Il y a une force dans l'échange que dans la mesure où l'on tient chacun sa place et on joue pleinement son rôle. C'est ce que j'essaie de faire dans les échanges sur ce blog. Que la réflexion continue!... et cela sans fin et dans la liberté. À bientôt sur ce blog!...
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P
Je trouve cette façon d'envisager ce qui amène à l'effondrement originale et même pragmatique. Partir du local comme le dit Chancerel n'influence malheureusement pas le global, par contre le global réduit les possibilités du local..Je trouve intéressants vos points de départ pour chaque thème qui ne sont pas ceux qu'utilisent les spécialistes. C'est peut-être parce que vous n'êtes pas spécialiste que vous pouvez les aborder autrement. En tout cas j'attends vos prochains billets. Comme Chancerel (dont j'aime bien les commentaires !) je vous souhaite une bonne année.
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B
Merci de tes remarques Jean-Louis. Mes essais sont effectivement sommaires et trop schématiques, le parallèle que j’essaie d’établir n’est pas toujours pertinent, ce d’autant que je fais intervenir des domaines que je ne maîtrise pas beaucoup (sociologie, éthologie, etc. ). <br /> <br /> <br /> <br /> Mon idée est de composer une amorce de grille en faisant l’impasse de ce qui peut se faire localement dans l’état de la société actuelle, comme les pédagogies ou les diverses politiques de gauche de droite ou d’ailleurs. <br /> <br /> <br /> <br /> Le local butte certes sur l’idéologie néolibérale, les habitus… mais l’expérience de ma classe unique m’a fait envisager que les obstacles relèvent aussi d’une situation à laquelle une société est arrivée quasiment sans s’en rendre compte, ce qui est normal puisque cette situation s’est établie sur un très long temps.<br /> <br /> <br /> <br /> Autrement dit, mes essais ne sont que des amorces, chacune devant être explorée et décortiquée plus à fond, il faudrait que de nombreuses personnes comme toi le fassent… (si les approches sont pertinentes !).<br /> <br /> <br /> <br /> Avec aussi tous mes vœux et le souvenir des rencontres que nous avons eu avec d’autres enseignants à Lausanne où tu nous incitais à avoir des pensées et des actes cohérents.
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