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Le blog de Bernard Collot
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8 août 2022

1940-2021 (129) – 1993 – Il fallait essayer de frapper un grand coup !

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Avec la fédération de l’école rurale, nous organisions régulièrement des rencontres : faire le point de la situation, régler des problèmes, envisager des actions. Si le colloque du Vigeant avec eu du succès, il n’avait quand même pas réuni tous les départements concernés par les suppressions qui, elles, continuaient, ceci malgré les multiples actions organisées localement un peu partout. D’où :

- Il faut faire un autre colloque qui marque plus les esprits !

Mais où ? Et sans plus de trésorerie qu’au début ! Il fallait continuer à se débrouiller vu que si notre trésorier était bien le délégué des élus de montagne il ne voulait absolument pas les solliciter pour que l’on ait quelques fonds. Prudence politique ! Jacqueline Mérour, la maman bretonne, proposa alors une solution :

- Sur la presqu’île de Crozon, il y a un grand centre de vacances inoccupé pendant les vacances de Pâques. Je connais bien les dirigeants, je crois que je peux me débrouiller pour qu’ils le mettent à notre disposition gratuitement.   

Premier problème résolu. Mais quel titre, quel contenu ? Je proposai donc « école rurale, école nouvelle » puisqu’il fallait bien que l’on fasse savoir à la France entière pourquoi il fallait garder et protéger les classes uniques et petites écoles rurales.

- Bernard, puisqu’avec tes copains vous avez réussi le premier colloque, il faut continuer avec le second !

 Nous avons donc constitué une petite équipe avec Jean-Michel Calvi et moi pour coordonner le contenu, Jacqueline Mérour et Maryline, une autre maman bretonne, pour l’organisation matérielle sur place.

Tout démarrait très bien, nous nous étions partagé les tâches avec Jean-Michel. Lorsque, en plein dans la préparation, Jean-Michel démissionna de son poste de secrétaire et de la préparation du colloque : dans le bureau de la fédération il y avait Lionel Paillardin, le moutonnier des Hautes-Alpes, un personnage haut en couleur, mais qui avait le défaut de se mêler de tout, de critiquer sans cesse, de trouver que le secrétaire n’en faisait pas assez, etc.[2] Avec Jean-Michel, beaucoup plus discret mais assez soupe au lait, ça ne pouvait pas durer ; la moutarde lui monta vite au nez :

- Puisque c’est comme ça, que la FNDPER se débrouille sans moi !

Du coup, la préparation de ce foutu colloque m’a pris pas mal de mon temps et de mes nuits, mais j’avoue que j’aimais bien cela et j’avais tous les copains des classes uniques, ceux de la Vienne et les autres par messagerie qui apportaient leurs idées et leur aide.

Contrairement au premier colloque, si l’on voulait qu’il marque l’opinion publique, il fallait qu’il y ait des personnalités très connues qui y participent et y fassent des conférences. La première a été Philippe Meirieu. Celui-ci était très connu dans le milieu enseignant, de par ses titres et fonctions dans les IUFM, en particulier pour sa défense des pédagogies nouvelles. Il était aussi impliqué dans le parti socialiste alors au pouvoir. J’avais repéré une petite phrase dans ses discours : « Il se pourrait que les classes uniques soient celles de l’avenir ». Je savais bien qu’il était un habitué des petites phrases provocatrices, on dirait aujourd’hui des punchlines, mais il l’avait dit. Je lui écrivis donc, en le brossant dans le sens du poil à partir de sa petite phrase. Réponse décevante :

« Désolé. J’aurais participé avec plaisir à votre colloque, mais j’ai promis à ma femme et mes enfants que je passerai mes vacances de Pâques avec eux. » 

Je communiquai à tous son refus, mais Jacqueline Mérour eut encore une idée :

- Dis-lui que s’il vient avec sa femme et ses enfants, nous lui concocterons ensuite des vacances en Bretagne qu’aucun touriste ne pourra jamais avoir.

Et cela a marché ! La seconde personnalité fut Hubert Montagner, scientifique internationalement connu pour ses travaux, entre autres sur les rythmes de l’enfant, puis sur les rythmes scolaires. Lui n’a pas hésité une seconde et au cours du colloque nous avons eu une très longue conférence sur l’acquisition des compétences par les enfants.

Puis j’avais sollicité Michel Serre. Lui aussi m’avait répondu.

« Je ne pourrais être avec vous puisqu’en ce moment je travaille aux États-Unis. Mais vous pouvez solliciter de ma part Michel Authier. Vous verrez, vous ne perdrez rien au change. »

 Et nous n’avons rien perdu au change ! Avec les « arbres de connaissance » et « De l’école rurale à la société pédagogique », le charismatique Michel enthousiasma le public. Il y eut une suite à son intervention que je narrerai dans un autre épisode.

Et puis surtout, il y eut François Oeuvrard.

C’était une sociologue qui avait été missionnée par le Département de l’Évaluation et de la Prospective (DEP) du ministère de l’Éducation nationale, pour faire une étude sur la réussite scolaire des petites écoles rurales. Depuis 1990 nous nous remuions beaucoup, nous commencions à intéresser les médias et cela commençait à être gênant, il fallait bien clore le bec à ces trublions.

Avant le colloque, je reçus un coup de téléphone :

- J’ai appris que vous organisiez un colloque. Comment se fait-il que je n’y sois pas invitée ?

Et pour cause, nous ignorions complètement son existence et ce qu’elle faisait à la DEP, nous ne savions pas d’ailleurs ce qu’était la DEP. Elle m’expliqua qu’elle avait fait un travail qui devrait nous intéresser et se proposa d’en rendre compte dans une conférence à Crozon.

Et ce fut la découverte de ses travaux dont par la suite nous n’avons pas cessé de nous servir : à la surprise générale, elle démontrait que les résultats scolaires des petites écoles rurales aux classes à plusieurs cours étaient supérieurs à la moyenne nationale ! Mieux, plus le multiâge était étendu jusque dans les classes uniques, meilleurs étaient les résultats ! Et même que les résultats des RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux) qui se développaient justement pour supprimer les classes uniques n’apportaient aucun progrès significatif, partie de son travail que le ministère lui avait demandé d’éliminer de son rapport parce que soi-disant hors sujet. Ledit rapport a d’ailleurs rapidement été ôté du site du ministère.

Pas de chance pour le ministère ! Ce d’autant que dans la foulée, dans un autre rapport, le rapport Ferrier, l’inspecteur général qui le dirigeait indiquait : Si ces résultats devaient se confirmer, cela remettrait en cause toute la politique de l’Éducation nationale des décennies précédentes ! Et cela a ensuite été sans cesse confirmé, en particulier par le très officiel observatoire de l’école rurale.

Dans tous ces intervenants en plénières, il y en eut d’autres qui ont aussi fait du bruit, comme l’écrivain et poète breton Pierre-Jakez Hélias et le président de la Confédération paysanne bretonne qu’avait réussi à faire venir Jacqueline Mérour, un belge, Gilbert Cellier, Jean-Yves Crenn, vice-président des maires ruraux du Finistère, Eric Debarbieux, directeur de l'Observatoire international de la violence à l'école et bien sûr l’ami charismatique du mouvement Freinet, Paul Le Bohec.

Entre toutes les conférences, il fallait bien organiser des ateliers, des tables rondes. Nous avons fait comme au Vigeant : nous réunîmes tous les premiers arrivés la veille après le premier souper, c’est à dire toutes celles et ceux arrivés de loin, et en une heure nous trouvâmes une vingtaine d’ateliers avec celles et ceux qui se proposaient pour les animer. S’il y avait bien sûr les copines et copains des classes uniques, il y en eut d’autres, des enseignants, un architecte de St-Bonnet le Château (42), des maires comme Marc Thillerot, des parents d'associations, un représentant de GAEC, etc.

Tout se passait très bien. Il y a eu un seul moment où j’ai craint la catastrophe : le dernier jour de clôture, un dimanche après-midi. Les deux dernières plénières devaient avoir lieu dans une salle de cinéma de Crozon. Je me pointai avant tout le monde devant la salle, fermée à double tour ! Bon, ce devait être Jacqueline qui avait les clefs. Jacqueline arriva… sans les clefs ! Impossible de trouver le patron du cinéma qui avait oublié ce détail. Et tout le monde arrivait peu à peu devant la salle. Lorsqu’arriva Michel Authier pour la première conférence, décontracté le cigarillo au bec.

- Qu’est-ce qui se passe ?

- Nous n’avons pas les clefs !

- Ben il fait beau, il n’y a pas d’herbe autour ?

Derrière la salle il y avait bien un grand espace herbeux.

- Et bien, il n’y a qu’à y aller !

- Tu te sens de parler sans micro ?

- Bien au contraire, à la bonne franquette, c’est bien l’école rurale que vous voulez défendre !

Et peu à peu tout le monde à peine surpris fut aiguillé dans l’herbe et ce fut le spectacle de trois à quatre cents personnes assises dans l’herbe écoutant, décontractées et attentives, la brillante intervention de Michel, puis celle du belge Gilbert Cellier, puis les discours de clôture. Nous étions à Pâques en Bretagne, je n’avais pas cessé de regarder le ciel et la couleur des nuages, le soleil était bien de connivence avec l’école rurale !

Ce colloque fit grand bruit, on le verra par la suite. Plus de 40 départements représentés, près de 500 personnes sur les trois jours avec beaucoup de la région, 250 nourries et hébergées pendant trois jours face aux rochers de l’océan pour…50 F (10 €) ! Je n’ai jamais su et elle n’a jamais voulu me le dire comment Jacqueline Mérour s’était débrouillée ! Avec Maryline, l’autre maman bretonne, elles avaient réussi l’incroyable organisation.

Sylvette Brivet et Marie-Chantal D’Affroux réussirent elles le tour de force de collationner en trois mois toutes les interventions et tous les comptes-rendus d’atelier puis de publier les actes en 200 pages A4 serrées ! Pour des amateurs nous avions fait fort !


[1] Hubert Montagner avec qui par la suite je suis resté en relation jusqu'à ces dernières années a été un chercheur dans de nombreux domaines éthologie, comportement animal, directeur de l'INSERM,... et surtout  psychophysiologiste dans le champ du développement, du comportement et des rythmes de l'enfant. Il a été un des premiers chercheurs à utiliser la vidéo. Un des ses ouvrages qui m'avait interpelé :  "L'enfant, acteur de son développement". Pour nous il a été aussi un véritable militant pour la transformation de l'école et de ses pratiques, sans plus de réussite que nous, il est vrai qu'il énervait un peu les autres scientifiques et les politiques au pouvoir, ne pratiquant pas la langue de bois !

[2] Personnellement j’aimais bien Lionel Paillardin. Pour être inventif, il l’était. Dans son exploitation de moutons dans la montagne, il avait passé un an à organiser des parcs communiquant de telle façon que ses bêtes passent automatiquement de l’un à l’autre quand l’herbe de l’un était tondue grâce à des clôtures électrifiées contrôlées par un tableau de bord qu’il avait bricolé. Ainsi il n’avait plus grand-chose à faire et se libérait pour d’autres occupations plus gratifiantes pour lui. Ce n’était pas aussi écologique que de garder son troupeau dans les alpages mais celui-ci n’était pas en stabulation ni nourrit artificiellement. Ceci dit, il est vrai qu’il avait un égo un peu surdimensionné et qu’il fallait avoir la philosophie d’un certain âge pour le canaliser et le supporter.

Prochain épisode : les suites de Crozon, le moratoire. -  épisodes précédents ou index de 1940-2021 – La lutte pour l’école ruraletous les épisodes  sur l’école et l’éducation

crozon

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